C’est devenu un rituel : chaque année, les partisans de la dépénalisation et/ou de la légalisation du cannabis marchent chaque année au début du mois de mai pour se faire entendre. Joint à la main, des centaines de personnes ont donc manifesté samedi à Paris, dans plusieurs villes de province, mais aussi dans de nombreuses autres capitales : à Buenos Aires, les organisateurs de la marche ont ainsi revendiqué près de 150.000 manifestants.
A Paris, les manifestants, plutôt jeunes, arborant pour certains des t-shirts et casquettes aux imprimés feuilles de cannabis ou des vêtements aux couleurs de la Jamaïque, ont rallié la place de la République depuis Bastille, dans des volutes de haschisch. "Qu'est-ce que nous voulons? C'est la légalisation", "no cocaïne, no crack", a scandé la foule, rassemblée derrière une banderole "Une autre politique des drogues est possible" ou des panneaux "La Ganja pour tous".
>> Cette "Global Marijuana March" est l’occasion de rouvrir le dossier du cannabis : où en est la France sur ce dossier ? Quel pays en consomme le plus ? Que rapporterait un changement de législation ? Autant de questions auxquelles Europe 1 tente de répondre, chiffres à l’appui, avec un rappel : illégal en France, le cannabis est en outre mauvais pour la santé.
Combien de consommateurs en France ? Tout dépend de quoi on parle. L’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (Ofdt) dénombre trois profils : les expérimentateurs - qui en ont consommé une fois dans leur vie -, les consommateurs - qui en ont consommé dans l’année- et les consommateurs réguliers -qui comptabilisent au moins 10 joints par mois-. Selon ses dernières estimations, qui datent de 2011, 3,8 millions de Français sont des consommateurs occasionnels, parmi lesquels on compte 1,2 millions de consommateurs réguliers.
Les Français parmi les plus gros amateurs en Europe. Près de 6% des Français goûtent donc au cannabis chaque mois, mais cela fait-il de l’Hexagone un gros consommateur ? Pour répondre à cette question, il faut regarder du côté de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT). Selon ses dernières statistiques, la France est le troisième plus gros consommateur en Europe, devancé par la République Tchèque et l’Espagne. A contrario, la Grèce, Malte et la Roumanie figurent en fin de classement.
En ce qui concerne la consommation des jeunes, population la plus exposée au cannabis, l’un des indicateurs les plus solides est l'enquête ESPAD (European School Project on Alcohol and other Drugs), menée tous les quatre ans en Europe dans les milieux scolaires. Et là aussi, la France figure parmi les plus gros consommateurs :
Qui autorise quoi en Europe ? Pays friand de cannabis, la France n’est pourtant pas l’Etat le plus laxiste en la matière : le cannabis est prohibé depuis 1970, avec au maximum un an de prison et 3.750 euros d'amende. Mais dans la pratique, les petits consommateurs ne s’exposent qu’à des amendes, l’emprisonnement étant réservé aux trafiquants.
Chez nos voisins, la situation est très variable : le cannabis est autorisé aux Pays-Bas, dépénalisé pour un usage personnel au Portugal, en Espagne, en Belgique, en Allemagne et en République Tchèque. Son usage sous forme de médicament est par ailleurs autorisé en Allemagne, Belgique, Suisse. Dans le reste de l’Europe, c’est l’interdiction qui prédomine. Au final, la législation n’a qu’une influence relative sur la consommation.
Combien rapporterait un changement de législation ? La position des Etats vis-à-vis du cannabis évolue sensiblement depuis quelques années, comme le montrent les virages opérés par certains états des Etats-Unis ou encore l’Uruguay. Les manifestants de ce week-end militent donc pour que les lignes bougent aussi en France, soit vers une dépénalisation, voire vers la légalisation. Une piste qu’a même envisagé la sénatrice écologiste Esther Benbassa, qui a déposé en avril une proposition de loi de visant à autoriser l'usage et la vente contrôlée par l'Etat tout en interdisant la publicité et la vente aux mineurs. Et cette dernière de mettre en avant un meilleur contrôle des substances mises sur le marché, un renforcement de la prévention, ainsi que de substantielles économies.
La fondation Terra Nova s’est justement penchée sur ce sujet, partant du constat que "la politique de répression est en échec en France". Les chercheurs Christian Ben Lakhdar et Pierre Kopp ont donc sorti leur calculette pour estimer l’impact d’un changement de législation. Premier chiffre : la France dépense environ 500 millions d’euros par an pour mener sa politique de répression. La lutte contre le cannabis, c'est "12 à 15% de l'activité policière, 12 à 15% de l'activité des douanes", résumait Pierre Kopp début 2014 sur Europe 1. Y mettre fin, ce serait donc autant d’argent économisé pour affecter les forces de l’ordre à d’autres missions et renforcer le budget de la prévention.
Mais si l’Etat faisait le choix de légaliser le cannabis, l’enjeu devient bien plus important : les taxes générées par cette révolution pourraient rapporter entre 1,5 et 1,6 milliards d’euros, selon que l’Etat conserve le monopole ou instaure un libre commerce sous surveillance. Soit au total entre 2,1 et 2,2 milliards d’économies potentielles. Un tel scenario aurait également un impact positive sur la délinquance et la criminalité dans les zones de ventes, mais un inconvénient : le risque que le cannabis séduisent de nouveaux consommateurs.
La drogue déjà comptabilisée dans le PIB. Des sommes telles que d’autres statisticiens, ceux de la Commission européenne, ont récemment changé de paradigme : depuis le 1er septembre 2014, les Etats membres de l’Union européenne sont censés prendre en compte l’économie souterraine dans le calcul de leur Produit intérieur brut (PIB). Donc comptabiliser le travail au noir, mais aussi et surtout les richesses générées par le trafic de drogue et la prostitution. Et comme certains pays, à l’instar des Pays-Bas, le font déjà, Eurostat estime que pour pouvoir comparer ce qui est comparable, tous les Etats devraient adopter la même comptabilité.
Si la plupart des pays ont accepté, la France a choisi un entre-deux : oui pour la drogue, mais non pour la prostitution. L’Insee estime que le chiffre d’affaire du cannabis, de la cocaïne et de l’héroïne avoisine les trois milliards d’euros. Mais comme une part importante de cette drogue est importée, l’Insee ne retient que le chiffre de 2 milliards d’euros. Pour la prostitution, les choses se corsent : l’institut estime que la majorité des prostituées vendent leur corps sous la contrainte, souvent sous la coupe de réseaux mafieux, quand elles ne sont pas mineures. Pour la France, il ne peut donc s’agir d’un commerce au sens statistique du terme.