34 % des demandeurs d'emplois s'estiment victimes de discriminations, mais leur salut ne viendra pas de la généralisation du CV anonyme. Cette réforme, votée en 2006 mais restée depuis dans les cartons, sera finalement "abrogée" a fait savoir mardi le ministre du Travail François Rebsamen. "Le CV anonyme est un outil" mais pas "le seul outil", a estimé le ministre. L'abrogation sera ajoutée à son projet de loi sur le dialogue social en entreprise, dont l'examen en commission à l'Assemblée nationale débute mardi.
Le gouvernement se plie aux recommandations d'un rapport qui lui a été remis mardi par le groupe de travail sur les discriminations. Ce dernier a estimé que le CV anonyme était peu efficace et lourd à mettre en place.
Quelles sont les solutions alternatives ? Europe 1 vous dévoile les "outils" présentés par le rapport.
L'échec du CV anonyme. Le CV anonyme, sur lequel ne figurent pas le nom de famille, ni le lieu de résidence ou la photo d’identité, devait devenir la norme dès 2006 dans les entreprises de plus de 50 salariés. Sauf que le décret d’application de cette loi n’a jamais été publié, les professionnels ne cachant pas leurs doutes sur l’efficacité d’un tel outil.
Après s’être penché sur la question, le groupe de travail est arrivé à la même conclusion et "s'est majoritairement prononcé contre le caractère obligatoire de l'anonymisation des CV", indique le rapport que l’AFP a pu consulter. Sont notamment pointés du doigt "sa lourdeur et les éventuels effets pervers qu'il peut introduire dans les processus de recrutement", sans oublier son "coût, ses modalités pratiques, la nécessité d'anonymiser également la lettre de motivation".
Bref, le CV anonyme peut rapidement devenir une usine à gaz, mais il y aurait pire : il serait contre-productif. "Le CV anonyme ne permettrait pas de valoriser les différences", il "irait à l'encontre de la liberté de choix des entreprises et des candidats", "risquerait de conduire à des démarches de contournement avec l'utilisation accrue d'internet comme mode de recrutement". Bref, même s’il y a eu des débats internes, le groupe de travail estime dans sa majorité que le CV anonyme pose autant de problèmes qu’il n’en résout.
Quelles alternatives ? S’il enterre le CV anonyme, le groupe de travail propose d’explorer de nouvelles pistes pour recruter. Première piste, développer le recrutement par simulation : l’entreprise ne tient pas compte des qualifications ou du parcours professionnel du candidat mais le teste lors d'exercices de mises en situation, pour voir s'il est capable d'occuper le poste. Appliquée par Pôle Emploi, cette méthode a fait ses preuves, si bien que le rapport souligne qu’elle pourrait servir de modèle pour les entreprises.
Deuxième piste proposée, le CV vidéo : ce format plus souple permet au candidat de mettre l’accent sur ses points forts mais aussi d’en apporter la preuve. Un demandeur d’emploi affirmant maitriser deux langues peut alors le prouver.
Conserver un outil de mesure des discriminations. Malgré ces pistes proposées, les auteurs du rapport sont conscients qu’il sera difficile de mettre fin aux discriminations. Ils préconisent donc de continuer à rester en alerte sur le sujet, notamment en menant des campagnes de "testing" pour que les entreprises soient conscientes de leurs actes. Le principe est simple : envoyer pour un même poste deux CV avec des compétences similaires, la seule différence étant à chercher du côté du nom, de l'origine ou encore de l'âge. Une grande campagne est déjà prévue pour l’automne prochain.
Pour compléter ce dispositif, le rapport conseille aussi aux entreprises de pratiquer "l'auto-testing" sur la base du volontariat. Le groupe Casino, par exemple, s'est prêté au jeu en 2007 et 2011, ce qui lui a permis d'améliorer ses processus de recrutement.
Mettre en place des interlocuteurs spécifiques. Reste à trouver un canal d’expression pour les demandeurs d’emplois s’estimant victimes de discriminations. Le rapport propose la création d'un "référent égalité des chances" dans les entreprises de plus de 300 salariés. Il serait chargé d'"accompagner les candidats ou les salariés se sentant discriminés" et de conseiller "les organisations syndicales et les managers". Pour compléter ce dispositif, le groupe de travail sur les discriminations au travail pourrait lui-même être "pérennisé auprès du Défenseur des droits".
L’arme ultime : la "class action". Nouvelles méthodes de recrutement et campagne de mesures des discriminations peuvent cependant ne pas être suffisantes, elles doivent être accompagnés d’une sanction potentielle. Le rapport propose donc une nouvelle arme de dissuasion vis-à-vis des employeurs : l'instauration d'un "recours collectif" permettant à des associations ou organisations syndicales de demander réparation au nom des victimes de discriminations à l'embauche ou dans l'emploi. Cette action de groupe ne serait possible qu'en deuxième recours, en cas d'échec du dialogue social. Reste à dépasser l’opposition du patronat, dont les représentants au sein du groupe de travail ont vivement dénoncé cette piste.
L’administration doit elle-même montrer l’exemple. Parce que l’Etat ne peut pas fixer les règles sans se les appliquer, le rapport propose enfin que la lutte contre les discriminations devienne aussi une priorité pour les administrations. D’abord en menant des études sur les discriminations au sein des entreprises du secteur public et de la fonction publique. Ensuite en prenant en compte cet aspect lors d’appels d’offres pour les marchés publics : les entreprises ayant mis en place des "actions de lutte contre les discriminations" auraient plus de chance de les décrocher que celles qui ne font rien.