C’est un refrain qui a résonné dans toutes les gares de France lundi et mardi : où est passé le service minimum ? La grève de la SNCF, suivie par un cheminot sur trois (voire plus selon les syndicats), a en effet eu pour conséquence l’arrêt complet du trafic sur certaines lignes. De quoi irriter les usagers concernés mais aussi Valérie Pécresse. La présidente (LR) de la région Île-de-France s’est insurgée contre le non-respect du service minimum. Faut-il aller plus loin que la loi actuelle ? Le débat est plus ouvert que jamais.
Un service minimum limité. D’abord, un petit rappel : le terme de "service minimum" est trompeur. Instauré en 2007 par Nicolas Sarkozy, ce système censé bénéficier aux passagers et atténuer les effets des grèves est souvent mal compris. Il s’agit d’une obligation d’information, pas de circulation. Concrètement, la loi sur l'"organisation de la continuité du service public en cas de grève" contraint simplement les grévistes à se déclarer au minimum 48 heures (deux jours ouvrés) avant de cesser le travail. Par ailleurs, depuis 2012, ils n’ont plus le droit de changer d’avis 24 heures avant le début de la grève.
La loi oblige également la SNCF à établir un plan de transport "en fonction de l'importance de la perturbation". L’opérateur est chargé de "déterminer différents niveaux de service pour assurer les dessertes prioritaires" et "pour chaque niveau de service, elle fixe les fréquences et les plages horaires". Ce plan, qui doit être communiqué publiquement, est doublé d’une obligation d’information aux usagers : "tout usager a le droit de disposer d'une information gratuite, précise et fiable sur le service assuré". Mais le service minimum n’impose aucun objectif chiffré de circulation des trains.
Exception en région parisienne. Toutefois, l’Île-de-France, via l’organisation Île-de-France Mobilités (ex-STIF), a passé un contrat particulier avec la SNCF qui oblige l’entreprise ferroviaire à assurer au moins un tiers des liaisons quotidiennes lors d’une grève dure. Ce qui était loin d’être le cas lundi et mardi (un RER et un Transilien sur cinq). Pour avoir rompu ce contrat, la SNCF sera pénalisée financièrement mais en réalité elle ne peut pas faire autrement : il est impossible de réquisitionner des cheminots. C’est cet état de fait qui irrite Valérie Pécresse et la pousse à lancer un appel au gouvernement pour "mettre en place un service garanti pour tous aux heures de pointe !".
Inadmissible que le service minimum ne soit pas respecté partout & que des lignes/gares #SNCF soient purement fermées, isolant les habitants de territoires entiers. J’en appelle au gouvernement pour mettre en place un service garanti pour tous aux heures de pointe! #greveSncf
— Valérie Pécresse (@vpecresse) 3 avril 2018
La présidente de la région Île-de-France n’est pas la seule à réclamer une loi qui aille plus loin sur le service minimum. Le député UDI Yves Jégo, membre des "Constructifs", s’est également indigné lundi de l’absence de trains dans des gares de sa circonscription de Seine-et-Marne : "A l’image des hôpitaux, il est indispensable de créer un droit de réquisition des agents des transports pour un véritable service minimum dans chaque gare", a-t-il réclamé sur Twitter.
Ce mardi à #Montereau comme dans de nombreuses gares @Departement77 aucun train ! A l’image des hôpitaux il est indispensable de créer un droit de réquisition des agents des transports pour un véritable service minimum dans chaque gare.#propositiondeloipic.twitter.com/lGE0kgS8Cg
— Yves Jégo (@yvesjego) 2 avril 2018
Réquisitionner les cheminots. Yves Jégo a ensuite précisé sa pensée sur RMC : "C'est une proposition qui avait été plus ou moins discutée il y a quelques années. Mais on n’a pas été assez loin. Il y a des gares où il n'y a pas de train du tout! Il faut que la direction de la SNCF puisse réquisitionner quelques agents pour pouvoir accéder à au moins un train par jour. Ça fait des années que dans les hôpitaux, on réquisitionne des infirmières, des sages-femmes et ça ne pose aucun problème".
Un combat que mène également Jean-Louis Thiériot, président (LR) du conseil départemental de Seine-et-Marne, pour qui la grève perlée de la SNCF change tout. "Alors que les lignes de RER ou celles de la petite couronne bénéficient d'un train sur deux ou d'un train sur trois, la grande couronne regarde impuissante des quais vides où ne passent plus de train", se désole l’élu dans une tribune dans Le Figaro. "L'État n'utilise pas tous les moyens de l'État de droit pour mettre un terme au désordre" et "en l'absence d'un service minimum (…) seul le droit de réquisition permettrait de rétablir la continuité a minima du service public."
Proposition risquée. Cette proposition a immédiatement fait bondir les syndicats. "Elle est où la limite ? A partir du moment où vous mettez ce système en place à la SNCF, il doit être mis en place partout. C'est très dangereux : c'est une atteinte au droit de grève", tempête Benjamin Amar, de la CGT, sur RMC. La constitutionnalité d'une telle mesure est en effet un frein majeur à son application. "C'est non seulement une décision qui sera totalement contestable sur le fond, mais également une mesure d'une profonde maladresse, une faute politique", ajoute le syndicaliste. Alors que les cheminots sont déjà sur le pied de guerre, évoquer des réquisitions risquerait bien de mettre de l’huile sur le feu…
Avant d’en arriver là, il faudrait résoudre la question très pratique de la mise en place d’un service minimum de circulation. En effet, aujourd’hui, les réquisitions de personnel sont la prérogative du préfet, uniquement "en cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique". Il doit pour cela prendre un arrêt nominatif pour chaque gréviste réquisitionné, remis en main propre à la personne. Un processus administratif lourd mais aussi très contraignant : le personne réquisitionné est tenu légalement de travailler sous peine de risquer six mois de prison.