Avec la loi Sapin 2, la loi El Khomri est l’autre grande réforme économique du gouvernement avant la fin du quinquennat. La ministre du Travail a fini de rédiger son projet de loi sur le droit du travail et doit le présenter en conseil des ministres le 9 mars. Bien qu’il reste encore de nombreux arbitrages à effectuer, les grandes lignes sont désormais connues, notamment la réforme des indemnités prud'homales. Si la ministre maintient le cap, les employeurs s’exposeront à des sanctions bien moindres, au grand dam des syndicats.
Les prud’hommes, une justice à réformer. Chargée de régler les conflits liés à un contrat de travail, principalement les licenciements contestés, la justice prud’homale est atypique : là où les autres Etats européens confient cette mission à des juges professionnels, la France attribue cette mission à des salariés et des employeurs. Cette méthode se veut plus démocratique mais aussi plus pratique, puisque les juges sont issus du monde du travail et connaissent ses vicissitudes. Sauf que cette justice est totalement engorgée : une procédure dure en moyenne 15 mois. Et si la décision du tribunal fait l’objet d’un appel, les délais peuvent doubler. La France a donc été condamnée plus de cinquante fois pour déni de justice à cause de délais trop importants.
Mais cet engorgement n’est pas la seule raison de la réforme en préparation : les prud’hommes sont depuis des années dans le viseur des employeurs. Ces derniers estiment que le montant des indemnités est trop variable d’un cas à l’autre, une incertitude qui expliquerait pourquoi les entreprises privilégient les contrats courts aux CDI.
El Khomri reprend le flambeau de Macron. Partant de ce constat, le gouvernement s’est emparé du sujet dès 2014 et la loi Macron comportait déjà une réforme des prud'hommes. Son principe : limiter le montant maximum des indemnités pour rassurer les employeurs. En clair, en cas de licenciement abusif qui irait jusqu’au tribunal des prud’hommes, l’entreprise saurait dès le début de la procédure le montant maximum de la condamnation à laquelle elle s’expose. De quoi indigner les syndicats, qui ont souligné qu’une entreprise pourrait alors licencier sans aucun motif tout en s’exposant à des risques moindres. Au motif qu’il établissait une différence entre TPE/PME et grandes entreprises, le texte a finalement été retoqué par le Conseil constitutionnel. Myriam El Khomri a donc été chargée de reprendre le dossier en main.
Vers un barème moins généreux que dans la loi Macron. La ministre du Travail a conservé cette philosophie mais en proposant un barème encore moins généreux que celui prévu par Emmanuel Macron : puisque la loi ne peut faire de différence entre une PME et une grande entreprise, le barème a été surtout conçu pour les petitse entreprises et leurs moyens plus limités. Les grandes entreprises sont donc les grandes gagnantes de cette nouvelle version du projet de loi. Voici le nouveau barème prévu par la loi El Khomri, qui prend en compte l’ancienneté du salarié, mais aussi son âge.
Ancienneté de l’employé | Montant maximum de l’indemnité |
Moins de 2 ans | 3 mois de salaire |
De 2 à 5 ans | 6 mois de salaire |
De 5 à 10 ans | 9 mois de salaire |
De 10 à 20 ans | 12 mois de salaire |
Plus de 20 ans | 15 mois de salaire |
NB : à titre de comparaison, un salarié obtient aujourd’hui en moyenne un mois de salaire par année d’ancienneté. Si la nouvelle grille ne changerait pas grand-chose pour les employés en poste depuis peu de temps, ceux ayant plus d’ancienneté y perdraient au change.
Les juges disposeraient donc d’une marge de manœuvre très limitée pour fixer le montant des indemnités à verser au salarié lésé, sauf dans quelques cas très particuliers : s’il y a eu harcèlement moral ou sexuel, ou encore discrimination. Un motif qui risque de devenir l’angle d’attaque des avocats pour contourner ce barème et qui risque de rallonger un peu plus la procédure.
Des syndicats sur le pied de guerre. Sans surprise, la réaction des organisations syndicales est amère : la version présentée par Myriam El Khomri "sera bien pire pour les salariés que celle de Macron", regrette un secrétaire confédéral CFDT en charge du dossier, avant de prévenir : si le texte reste en l’état, "les syndicats vont s'opposer". Chez Force Ouvrière, on réfléchit ainsi à une "réponse juridique", notamment une plainte à la Cour de justice européenne.
Encourager la conciliation pour éviter les procès. S’il balise le terrain, ce barème ne permettra pas pour autant de raccourcir sensiblement les délais de la justice prudhommale. Le gouvernement réfléchit donc à une autre mesure : inciter les employés à accepter une conciliation plutôt que d’aller jusqu’au procès. Dans ce cas, les indemnités bénéficieraient d’un régime fiscal et social plus favorable. Aujourd’hui, employeur et salarié n’arrivent à trouver un accord que dans 5% des cas.