Et si la graine plantée il y a un an par Benoît Hamon donnait enfin des fruits ? Le revenu de base, idée mise en avant par le candidat socialiste lors de la dernière présidentielle et remisée au placard avec son échec au premier tour, resurgit, plus concrète que jamais. Les présidents de 13 départements ont présenté mercredi, à Bordeaux, une étude de faisabilité devant aboutir à une expérimentation à l’échelle locale. Plusieurs scénarios, soumis à l’approbation du gouvernement, sont sur la table.
Un projet au long cours. Doucement mais sûrement, le projet d’un revenu de base a fait son chemin, loin des couloirs du pouvoir central. Faute de voir l’idée survivre à l’élection présidentielle, huit présidents de départements, rejoints par cinq autres par la suite, ont travaillé ensemble depuis fin 2017 sur un projet d’expérimentation sur leur territoire. Sous l’impulsion de la Gironde, l’Ardèche, l’Ariège, l’Aude, la Dordogne, le Gers, la Haute-Garonne, l’Ille-et-Vilaine, les Landes, le Lot-et-Garonne, la Meurthe-et-Moselle, la Nièvre et la Seine-Saint-Denis se sont associés pour tâter le terrain.
Fin mars, les élus (tous membres du Parti socialiste ou associés) avaient initié leur projet et annoncé le lancement d’un questionnaire en ligne pour solliciter l’avis des citoyens. Mercredi, ils ont passé un nouveau palier en présentant, en collaboration avec l’Institut des politiques publiques (IPP), des scénarios pour une application concrète du revenu de base. Selon Le Monde, qui a eu accès à l’étude, les départements volontaires souhaiteraient que le gouvernement fasse passer une loi d’expérimentation à l’automne pour distribuer un revenu de base à un échantillon de 20.000 personnes.
Plusieurs scénarios. Le principal défi du projet était de définir quel revenu de base les participants veulent verser. L’IPP s’est chargé des calculs en s’appuyant les données de l’administration fiscale et de l’Insee. Résultat, le projet retenu par les présidents de département repose sur plusieurs critères : leur revenu de base prendra la forme d’un substitut à certaines aides sociales, sera soumis à des conditions de ressources et versé automatiquement aux personnes éligibles. Il ne s’agit donc pas d’un revenu universel. "Inconditionnel ne veut pas dire universel. On n’imagine pas une seconde que les Rothschild touchent le revenu de base. L’idée, c’est de viser ceux qui ont peu et ceux qui n’ont rien", explique Jean-Luc Gleyze, président de la Gironde au Monde.
" De 461 à 725 euros par mois "
Deux scénarios sont aujourd’hui sur la table. Dans le premier cas, le revenu de base remplacerait le RSA et la prime d’activité, pour un montant de 461 euros mensuels pour une personne seule sans ressources. L’allocation versée décroîtrait en fonction des ressources jusqu’à s’annuler à 1.536 euros nets perçus. Dans le deuxième cas, il remplacerait le RSA et la prime d’activité et engloberait aussi les aides au logement (APL), pour un montant minimum de 530 euros pour une personne seule propriétaire et 725 euros pour une personne seule locataire. Là encore, l’allocation est dégressive.
Un coût et des avantages. Dans les deux scénarios, l’IPP a estimé le coût de l’expérimentation et son élargissement à l’échelle nationale, en fonction de l’âge d’éligibilité. Ainsi, si le premier revenu est ouvert dès 18 ans, le coût d’une application à l’ensemble de la France serait de 16,2 milliards d’euros par an, contre 9,6 milliards dès 21 ans et 4,9 milliards d’euros en gardant l’âge d’entrée actuel de 25 ans. Pour le deuxième revenu, le coût oscille entre 8,6 milliards (25 ans) à 25,7 milliards d’euros (18 ans). Pour une expérimentation avec 20.000 personnes, le coût est évidemment moindre : de 2,8 à 7,5 millions d’euros annuels, selon les scénarios.
Les auteurs de l’étude et les présidents de département mettent en avant deux avantages à leur revenu de base. D’abord, l’automaticité permettrait de lutter plus efficacement contre la pauvreté. Aujourd’hui, entre 30 et 40% des personnes éligibles au RSA socle (le montant le plus bas) ne le touchent pas faute de l’avoir demandé. De plus, fusionner les aides résoudrait la complexité actuelle du système, facilitant les démarches des bénéficiaires et le travail administratif.
Appel à Emmanuel Macron. En quelques mois, l’utopie est donc devenue un projet. Reste désormais à le concrétiser. Pour ce faire, les présidents de département ont besoin d’une loi d’expérimentation. D’ici l’automne, ils vont transmettre aux parlementaires une pré-proposition de loi en ce sens. Mais ils s’adressent aussi au gouvernement concernant le financement, difficile à prendre en charge pour les seuls départements. Les élus locaux prennent donc Emmanuel Macron à son propre jeu en faisant valoir le côté "initiative locale" réclamé par le président. Ils espèrent ainsi obtenir des dotations de l’État afin de tester pour de bon leur revenu de base. Et peut-être ouvrir la voie vers un nouveau modèle de société…