Une semaine après Jean-François Copé, c’est au tour de Nicolas Sarkozy d’être entendu par un juge du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris dans le cadre de l’affaire Bygmalion. Dans cette affaire de fausses factures, qui ont permis de dissimuler des dépenses de campagne de Nicolas Sarkozy lors de la présidentielle de 2012, les enquêteurs cherchent à déterminer si l'ancien président a eu connaissance de la fraude, et à quel point. Le patron des Républicains, qui ambitionne de disputer la primaire de son camp à l'automne pour revenir au pouvoir en 2017, risque une mise en examen. Il peut aussi, comme Jean-François Copé, être placé sous le statut intermédiaire de témoin assisté. Europe 1 vous résume l’affaire qui a conduit à la mise en examen de treize individus.
Au fait, Bygmalion, c’est quoi ? Bygmalion est une société de conseil en communication co-fondée par Bastien Millot et Guy Alvès en 2008. Les deux hommes sont des proches de Jean-François Copé, le premier a été son chef de cabinet à la mairie de Meaux, le second était son ancien chef de cabinet lorsqu’il était ministre du Budget de 2004 à 2007.
Durant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012, Jean-François Copé, à l’époque patron de l’UMP, fait appel à Bygmalion, via sa filiale Event & Cie, pour gérer les meetings du candidat, ainsi que plusieurs conventions pour l’UMP.
Quel est le rôle de la société dans la campagne de 2012 ? A l’époque, Jérôme Lavrilleux, le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, nommé par Jean-François Copé dont il est proche, voit les choses en grand. Il transmet les désirs de l’équipe de campagne à Bygmalion. Entre janvier et mai 2012, l’équipe de campagne organise 44 meetings, soit plus de huit par mois. Un chiffre colossal en comparaison des dix meetings du candidat socialiste François Hollande à la même période.
D’autant plus que les exigences de l’équipe de campagne sont démesurées. Les factures exorbitantes des meetings s’étalent entre 200.000 euros pour celui d’Annecy, à 1,8 million d’euros pour le meeting de Villepinte. En moyenne, les factures de ces rassemblements avoisinent les 500.000 euros.
De quoi l’UMP est-elle accusée ? Difficile dans ces circonstances de ne pas dépasser le plafond légal des dépenses pour la présidentielle de 2012, fixé à 22,5 millions d'euros. Tout dépassement de ce plafond entraîne l’annulation pure et simple du remboursement d’une partie des frais de campagne. Dès mars 2012, Pierre Godet, l’expert-comptable de l’équipe de campagne, indique à Guillaume Lambert, le directeur de campagne, que les comptes provisionnels pour quinze meetings dépassent très largement le plafond autorisé par la loi. Une seconde alerte, également adressée à Nicolas Sarkozy, intervient fin avril.
L’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy aurait alors mis en place le système des fausses factures, en proposant à Bygmalion de maquiller les factures d’Event & Cie, de manière à imputer une partie des frais de meeting à l’UMP, et non pas à l’Association pour le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy. En résumé, le parti a assumé les dépenses qui auraient dû rentrer dans le compte de campagne.
Comment les comptes étaient-ils "assainis" ? Pour qu’un tel détournement soit possible, les dirigeants de Bygmalion ont accepté de mettre en place une double comptabilité, qui se découpe en trois colonnes : l’une présentant le montant réel de la prestation fournie, une autre "officielle" figurant sur les comptes de campagne, et la dernière présentant la différence entre les deux sommes. Cette dernière colonne correspond au montant pris en charge par l’UMP, sous couvert de conventions thématiques organisées pour le parti. Ainsi, le meeting de Marseille du 19 février 2012 coûte plus de 800.000 euros dans un document du 6 mars, mais quelque 300.000 euros dans le compte de campagne.
Une clé USB détaillant les véritables frais de compagne a été remise par les dirigeants de Bygmalion aux enquêteurs. D'après les calculs de l'office anticorruption de la PJ, l'UMP a réglé 18,5 millions d'euros de fausses factures pour des événements fantômes. Au final, le Conseil constitutionnel avait quand même rejeté ce compte, pour un dépassement de quelques centaines de milliers d'euros.
Nicolas Sarkozy était-il au courant ? De son côté, l’ancien président a formellement démenti, lors de son audition en septembre dernier, avoir été informé des méthodes litigieuses de son équipe de campagne. Les enquêteurs cherchent donc à savoir si Nicolas Sarkozy avait connaissance des coûts pharaoniques de sa campagne ; et s'il est intervenu pour freiner cette avalanche de dépenses.
" Nous n’avons plus d’argent. JFC en a parlé au PR "
Plusieurs éléments de l’enquête laissent planer le doute. D’abord, la note de Pierre Godet, l’expert-comptable qui signait les comptes de campagne, adressée à Nicolas Sarkozy, le 26 avril 2012, mentionne que les dépenses, effectuées et à venir, sont déjà supérieures au plafond autorisé.
Les policiers ont également retrouvé un courriel du 19 mars dans lequel Eric Cesari, alors directeur général de l'UMP, prend acte auprès du directeur de campagne Guillaume Lambert du "souhait du président de tenir une réunion publique chaque jour à partir de la semaine prochaine". Or, Guillaume Lambert a déclaré aux policiers qu'il avait informé le président-candidat des "contraintes budgétaires" posées par une note de l'expert-comptable, qui pointait un risque de dépassement du plafond et interdisait toute dépense supplémentaire.
Ensuite, un SMS de Guillaume Lambert à Jérôme Lavrilleux fait état d’un entretien entre le président-candidat et Jean-François Copé. "Nous n’avons plus d’argent. JFC (Jean-François Copé, ndlr) en a parlé au PR (président de la République, ndlr)", écrit Guillaume Lambert à Jérôme Lavrilleux. Durant son audition, Jean-François Copé, de son côté, n'a cessé de clamer son innocence et d'adresser une petite pique à l'encontre de l'actuel patron des Républicains, estimant que "sa mémoire lui faisait défaut".
De l’affaire Bygmalion à l’affaire des comptes de campagne ? Lors d'une confrontation en présence de Jérôme Lavrilleux, le 9 octobre 2015, de nouvelles dépenses liées à la campagne et sans rapport avec Bygmalion sont évoquées. Depuis, les juges s'interrogent notamment sur une ligne "présidentielle" dans le budget 2012 du parti, indiquant 13,5 millions d'euros de dépenses engagées, alors que trois millions d'euros seulement ont été communiqués dans le compte de campagne. Trains, salles de meetings, tracts, sondages, les juges ont remonté la trace de nouvelles factures oubliées, qui apparaissent dans les comptes détaillés de l'UMP. Au total, le dépassement des frais du plafond des frais de campagne s’élèverait donc à près de 30 millions d’euros.
Que risquent les protagonistes de l’affaire ? Actuellement, treize anciens responsables de l'UMP, de la campagne ou de Bygmalion sont mis en examen dans le cadre de l’enquête des juges, initialement ouverte pour faux, usage de faux, abus de confiance, tentative d’escroquerie et complicité et recel de ces délits.
Malgré ses dénégations, les juges pourraient considérer que Nicolas Sarkozy doit être mis en examen. Selon une source proche de l'enquête, le délit de financement illégal de campagne peut être constitué par le simple fait de dépasser sciemment le plafond des dépenses de la part du candidat, signataire de son compte de campagne.