C'est un grand centre intellectuel de l'islam. Tombouctou, tombée lundi aux mains du groupe armé islamiste Ansar Dine et d'Al-Qaïda au Maghreb (Aqmi), renferme des dizaines de milliers de manuscrits, dont certains datent de l'ère pré-islamique. L'Unesco craint désormais que ce trésor inestimable ne subisse le même sort que les Bouddhas de Bamyan en Afghanistan, sous l'ère talibane.
"Des manuscrits uniques (près de 100.000) sont conservés depuis plusieurs siècles à Tombouctou, ville savante, ville des 333 saints, où pratiquement chaque concession est un patrimoine, une bibliothèque", explique le directeur de l'Institut fondamental d'Afrique noire (Ifan) à Dakar, Hamady Bocoum.
Des manuscrits du XIIe siècle
Dans la ville surnommée "la perle du désert" et inscrite au patrimoine de l'Unesco, ces manuscrits, remontant parfois au XIIe siècle, appartiennent à de grandes lignées. Ils sont conservés comme des trésors de famille dans le secret des maisons, des bibliothèques privées, sous la surveillance des anciens et d'érudits religieux.
Ils sont pour la plupart écrits en arabe ou en peul, par des savants originaires de l'ancien empire du Mali. Ces textes parlent d'islam, mais aussi d'histoire, d'astronomie, de musique, de botanique, de généalogie, d'anatomie... Autant de domaines généralement méprisés, voire considérés comme "impies" par Al-Qaïda et ses affidés jihadistes.
Le spectre des Bouddhas Bamyan
Ainsi, en mars 2001, après avoir vu passer pendant une quinzaine de siècles l'islamisation, les Mongols au XIIIe siècle ou encore l'occupation soviétique, les Bouddhas de Bamyan, dans le centre de l'Afghanistan, ont été dynamités par les talibans.
L'Unesco a exprimé mardi sa préoccupation et appelé "les factions belligérantes à respecter le patrimoine" du pays. A côté des menaces que font peser les combats sur les bâtiments en cas de contre-offensive de l'armée malienne, "je pense qu'il y a des risques sérieux sur ces manuscrits", s'alarme Hamady Bocoum. "On sait tous les trafics qu'il y a autour de ces manuscrits", rappelle-t-il. "On peut effectivement craindre que ce trafic ne se développe".
La population dans l'attente
Une crainte partagée le propriétaire de l'une des bibliothèques privées de Tombouctou. "Je ne sais vraiment pas pour le moment ce que vont devenir mes manuscrits. J'attends, mais j'ai franchement peur".
Seule lueur d'espoir, les islamistes répugnent habituellement à pénétrer dans l'intimité des maisons, ce qui pourrait compliquer la tâche des éventuels censeurs et policiers "du vice et de la vertu". Enfin, s'y attaquer, même au nom de la charia, reviendrait inévitablement à s'aliéner une grande partie de ces populations, ce que les nouveaux maîtres islamistes de Tombouctou ne souhaitent sans doute pas.