Vingt après avoir été chassés du pouvoir, les talibans ont repris le contrôle de l'Afghanistan. Cette mouvance islamiste radical a conquis en une dizaine de jours les principales villes du pays et est entrée dans Kaboul dimanche, profitant du retrait des troupes américaines. Depuis, les scènes de chaos se multiplient, notamment à l'aéroport de Kaboul où des milliers d'Afghans tentent de fuir le pays, tandis que les puissances étrangères organisent les évacuations de leurs ressortissants, mais aussi de militants et de personnes menacées. Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Comment les talibans vont-ils diriger le pays ?
Lorsque les talibans sont arrivés aux portes de Kaboul, dimanche, le ministre de l'Intérieur afghan a d'abord promis "un transfert pacifique du pouvoir vers un gouvernement de transition". De leurs côtés, les insurgés affirmaient leur souhait d'un "gouvernement inclusif" pour toute la population. Mais quelques heures plus tard, le président Ashraf Ghani est annoncé en fuite. Il reconnaitra ensuite la victoire des fondamentalistes sur Facebook. Ces derniers pénètrent finalement dans la capitale et investissent le palais présidentiel.
Depuis, l'organisation est encore floue. Les talibans ont installé des barrages et des postes de garde. Ils patrouillent, armés, dans les rue de Kaboul, tandis que les leaders du mouvement ont annoncé la convergence vers la capitale de milliers de combattants, pour en assurer la sécurité.
La mouvance radicale va désormais devoir transformer l'insurrection en gouvernement, prêt à diriger le pays. Le mollah Abdul Ghani Baradar, co-fondateur et numéro deux des talibans, pressenti pour diriger le mouvement, est déjà rentré ce mardi en Afghanistan, en provenance du Qatar, où il dirigeait le bureau politique du mouvement. Il est arrivé à Kandahar, capitale des talibans quand ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001. C'est dans la province du même nom qu'était né le mouvement au début des années 1990.
Entre les talibans et Al-Qaïda, des liens discrets mais tenaces
Les talibans avaient été chassés de Kaboul il y a 20 ans pour avoir laissé Al-Qaïda préparer les attentats du 11-Septembre. Désormais, ils devraient opter pour une plus grande prudence, même si leurs liens restent intimes. Dans leurs négociations avec les Américains, les nouveaux patrons de l'Afghanistan avaient promis de ne pas protéger les combattants d'Al-Qaïda, fondé par Oussama Ben Laden et responsable du plus grand attentat jamais commis contre une puissance occidentale. Mais cette promesse ne semblait guère convaincre qui que ce soit lundi.
Entre les deux groupes militaires, les connexions sont historiques : les pères de Sirajuddin Haqqani et du Mollah Yaqoubi, tous deux cadres supérieurs des talibans, étaient liés avec Ben Laden. Les relations restent désormais à définir. Un soutien affiché à l'organisation islamiste radicale pourrait entraîner des représailles occidentales et une coupure avec certains alliés potentiels tels que la Chine ou la Russie.
Vont-ils imposer un régime aussi strict que dans les années 1990 ?
Durant la période où ils étaient au pouvoir, les talibans avaient imposé à la population une version ultra-rigoriste de la loi islamique. Les jeux, la musique, les photographies et la télévision étaient interdits. Le ministère pour la Promotion de la vertu et la Répression du vice faisait régner la terreur. Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels tués. Les femmes accusées d'adultère étaient fouettées et lapidées à mort. Les hommes devaient garder une barbe longue, assister aux prières sous peine d'être battus et étaient contraints de porter le vêtement traditionnel.
Ce mardi, dans les rues de Kaboul, les hommes avaient d'ailleurs opté pour le shalwar kameez, l'ample habit traditionnel afghan, signe que la crainte d'un retour en arrière était présente, malgré les promesses des talibans. Ces derniers multiplient les signes de changement, depuis plusieurs jours. Ils ont en effet annoncé une amnistie générale pour tous les fonctionnaires d'Etat, les appelant à retourner au travail. "Vous devriez reprendre vos habitudes de vie en pleine confiance", ont-ils indiqué dans un communiqué.
"Malheureusement, c'est la même chose qu'en 1996 lorsqu'ils ont pris le pouvoir, parce qu'ils sont tout aussi fanatiques que naguère", nuance le docteur en géopolitique et professeur à Sciences Po, Frédéric Encel, qui souligne de fausses promesses sur Europe 1. "Ce sont des islamistes radicaux d'essence sunnite, donc violemment anti-chiites, qui sont extraordinairement misogynes et phallocrates. Ils considèrent qu'à terme, de toute façon, sur Terre, tout le monde sera de gré ou de force islamisé."
"Maintenant, il y a au moins une nuance par rapport à 1996 et au moment où ils ont chuté après le 11-Septembre", ajoute-t-il cependant. "Ils sont peut-être un tout petit peu plus pragmatiques sur la forme. Les Russes et les Chinois, une fois les Américains partis, auront vraisemblablement peu de patience avec des gens qui, à leur frontière directes ou indirectes perpétreront des attentats. On aura sans doute un émirat qui sera peut-être plus 'conventionnel' d'un point de vue diplomatique mais qui, malheureusement, face à la population et notamment aux femmes, n'a aucune raison de changer ses habitudes."
Quel sera le sort des femmes dans ce nouveau régime ?
La situation des Afghanes est particulièrement préoccupante, alors que les fondamentalistes ont repris la main sur le pays. Entre 1996-2001, elles n'avaient plus aucun droit sous leur autorité. Elles ne pouvaient plus sortir sans chaperon masculin, ni travailler et devaient porter la burka. Les plus jeunes filles ne pouvaient plus aller à l'école. Depuis ces années noires, la situation avait évolué pour certaines, notamment celles qui, pendant deux décennies, sont allées à l'université, ont occupé des postes à responsabilité, soit en politique, dans le journalisme ou même au sein de la magistrature et des forces de sécurité. Leur monde menace désormais de s'écrouler.
Un porte-parole des insurgés, Suhail Shaheen, a affirmé lundi soir que les femmes n'ont pas à craindre de menaces. Les fondamentalistes ont promis qu'ils "respecteraient les droits humains, en particulier ceux des femmes, en accord avec "les valeurs islamiques". Le port de la burqa, un voile intégral, ne sera pas obligatoire pour les femmes car "'il existe différents types de voile", a également précisé le porte-parole des talibans. Les femmes pourront également "recevoir une éducation du primaire à l'université", a-t-il ajouté. "Nous avons annoncé cette politique lors de conférences internationales, à la conférence de Moscou et ici à la conférence de Doha (sur l'Afghanistan)". Des milliers d'écoles dans les zones contrôlées par les talibans sont toujours ouvertes, a précisé Suhail Shaheen.
Néanmoins, les écoles et universités de la capitale restaient encore fermées, et peu de femmes osaient se risquer dans les rues de Kaboul ce mardi. Dimanche, des étudiantes n'ont pas pu accéder à leurs universités. Selon des vidéos sur les réseaux sociaux, quelques femmes se sont brièvement rassemblées devant l'entrée de la zone verte, zone fortifiée qui abrite les ambassades et la représentation de l'Otan, à Kaboul pour demander le droit de retourner y travailler. Des talibans en camion ont tenté en vain de les disperser avant qu'elles se laissent convaincre par des civils de quitter les lieux. Dans les banques de Kandahar et de Herat, des employées ont été harcelées par des Taliban en juillet, puis escortées par des hommes armés jusqu'à leur domicile, sans pouvoir retourner travailler.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guerres, s'est dit "particulièrement préoccupé par l'avenir des femmes et des filles". Frédéric Encel ne se fait également guère d'illusions. "Lors de leur conquête, ils ont recommencé leurs exactions, en particulier vis-à-vis des femmes et des jeunes filles", assure-t-il. Plusieurs témoignages font déjà état de rapt d'adolescentes ou de femmes dans le but d'organiser des mariages forcés avec des combattants islamistes, dans les régions dernièrement conquises.
Comment réagit l'économie au retour des talibans ?
Désormais installés dans le palais présidentiel de Kaboul, les talibans n'ont cependant pas conquis toutes les richesses du pays. Selon le Fonds monétaire international (FMI), les réserves brutes de la Banque centrale afghane s'élevaient à 9,4 milliards de dollars fin avril, majoritairement détenues à l'étranger. Les États-Unis ont d'ores et déjà annoncé que les actifs possédés sur le sol américain ne serait pas mis à disposition des talibans. D'autres pays pourraient suivre cette décision.
Quant à la monnaie afghane, l'afghani, elle a plongé face au dollar mardi. Il faut désormais 86 afghanis pour acheter un dollar, là où il n'en fallait que 80 vendredi dernier, soit une chute de plus de 6%, selon une compilation de l'agence Bloomberg. Ajmal Ahmady, gouverneur de la Da Afghanistan Bank, contraint de fuir le pays, avait appris vendredi que les "livraisons de dollars étaient interrompues", accentuant la panique sur les marchés locaux. Mais les talibans ont un système de financement organisé.
Des réactions internationales partagées
Le mufti du sultanat d'Oman, plus haute autorité religieuse dans ce pays du Golfe, a présenté ses félicitations lundi "au peuple afghan pour sa victoire contre les envahisseurs" après que le pays est tombé aux mains des talibans. En 1996, lors de leur première accession au pouvoir, le régime avait été reconnu par l'Arabie saoudite, les Émirats et le Pakistan. Ce dernier sera par ailleurs un allié de poids de la Turquie, qui souhaite œuvrer à une stabilisation de la situation, afin d'enrayer un afflux de réfugiés.
La Chine, qui partage 76 km de frontière avec l'Afghanistan, s'est dit disposée à avoir des relations avec le nouveau régime mis en place par les talibans, mais a exhorté ces derniers à se démarquer des organisations terroristes internationales, refusant que le pays ne devienne "un lieu de convergence du terrorisme et de l'extrémisme". La Russie a appelé à un dialogue "inter-afghan" estimant que les talibans envoyaient des "signaux positifs" en matière de liberté. Les deux pays ont dénoncé l'interventionnisme américain dans le pays. Enfin, l'Iran a estimé que "la défaite" des États-Unis devait se transformer "en une opportunité pour établir la sécurité et une paix durable" dans la région.
Les puissances occidentales fustigent quant à elles un échec de la communauté internationale et se concentrent sur l'évacuation des ressortissants, jugeant parfois avec amertume la décision de retrait des troupes américaines. Joe Biden a défendu fermement cette décision dans une allocution lundi soir. "Les forces américaines ne peuvent pas, et ne devraient pas, mener une guerre et mourir d'une guerre que les forces afghanes n'ont pas la volonté de combattre pour eux-mêmes", a-t-il déclaré.