Une personne a disparu toutes les huit heures en Colombie au cours des 45 dernières années, dans le cadre du conflit armé qui se solde à ce jour par 60.630 disparitions, a annoncé lundi le Centre national de Mémoire historique (CNMH), un organisme public.
Des disparitions pour "punir" et "propager la peur". "Ce chiffre montre l'ampleur de la stratégie adoptée par les groupes armés pour dissimuler leur violence", a déclaré Andrés Suarez, l'un des auteurs du rapport intitulé "Jusqu'à les retrouver. Le drame de la disparition forcée en Colombie" et réalisé par le CNMH sur la période 1970-2015. Selon ce rapport, qui doit être présenté publiquement mardi à Bogota, le fléau des disparitions est apparu dans les années 70 "pour punir (...), propager la terreur, exercer un contrôle territorial et cacher la dimension des crimes commis".
13.500 disparitions dues aux milices paramilitaires. Mais il "a évolué avec le temps". D'un "outil utilisé par les agents de l'État contre des militants associés à la gauche, il est devenu une arme des paramilitaires et des guérilleros qui a affecté des personnes d'origines très diverses : paysans, syndicalistes, sans-domicile, commerçants", expliquent les auteurs du texte. Tous les responsables des disparitions n'ont pas été identifiés. Mais les milices paramilitaires d'extrême droite sont à l'origine de 13.500 d'entre elles, les guérillas d'extrême gauche de 5.800, les gangs criminels de 2.900 et l'État de 2.300.
Une disparition toutes les deux heures et demi. La "période la plus critique" a été celle des années 1995-2006, avec 32.422 disparitions dans près des trois-quarts des municipalités de la Colombie, soit en moyenne une disparition toutes les deux heures et demie. Cette période a aussi été marquée par une augmentation des disparitions collectives, au moment de l'expansion des milices paramilitaires, armées dans les années 90 par des particuliers contre les guérillas d'extrême gauche, puis démobilisées en 2006, selon Andrés Suarez.
Entre 2006 et 2015, bien qu'il y ait une diminution avec 9.549 disparitions, elles restent le fait principalement des gangs issus de la démobilisation des paramilitaires. "Beaucoup de leurs alliés dans la légalité exercent des pressions pour occulter la violence afin d'éviter la pression internationale et de l'opinion publique. Et c'est une façon d'éviter aussi que cette violence n'affecte leurs objectifs politiques", a-t-il ajouté.
Seuls 8.122 cas ont été éclaircis. Sur plus de 60.000 disparitions - deux fois plus que le total des dictatures argentine avec 30.000 et chilienne avec environ 3.200 - seulement 8.122 cas ont été éclaircis à ce jour. "Le crime est aggravé par le traitement réservé aux cadavres par les coupables, qui ont converti rivières et mers en cimetières, et semé le pays de fosses clandestines", dénonce le CNMH.
Un État complice. Selon le rapport, "les pratiques de l'État pour préserver et identifier les rares corps exhumés ont été visiblement inadéquates" et "l'État est non seulement responsable d'avoir participé comme auteur ou complice, mais aussi pour son incapacité à remplir son devoir constitutionnel de protection".
Plus de 260.000 morts depuis le début du conflit. Le conflit armé, qui a impliqué paramilitaires, guérillas et armée depuis plus d'un demi-siècle, a fait en outre plus de 260.000 morts et 6,9 millions de déplacés. À l'issue de près de quatre ans de pourparlers, le gouvernement du président Juan Manuel Santos vient de conclure un accord de paix avec la plus importante guérilla du pays, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes), nées en 1964 d'une insurrection paysanne. Juan Manuel Santos, qui a reçu le prix Nobel de la paix en octobre, tente parallèlement d'entamer des négociations avec l'Armée de libération nationale (ELN, guévariste), dernière rébellion encore active.