Le Venezuela plonge une nouvelle fois dans la crise. Le pays d’Amérique Latine a connu mercredi une journée de bouleversements majeurs après que le président de l’Assemblée nationale, opposant à Nicolas Maduro, s’est autoproclamé président en exercice par intérim. Soutenu par une opposition qui contrôle le Parlement et juge toujours illégitime la réélection de Maduro en mai 2018 (les principaux opposants n'ont pas pu se présenter à l'élection), il se présente comme le garant de la démocratie et d’élections libres. Alors que certains observateurs jugent légal ce coup de force, d’autres crient au coup d’État.
Que s’est-il passé mercredi au Venezuela ?
Après plusieurs jours de trouble et dans un contexte politique tendu, Juan Guaido, le président du Parlement vénézuélien, s'est autoproclamé mercredi "président" par intérim du pays. L’institution, contrôlée par l'opposition, ne reconnaît pas la légitimité du président Nicolas Maduro. "Je jure d'assumer formellement les compétences de l'exécutif national comme président en exercice du Venezuela pour parvenir (…) à un gouvernement de transition et obtenir des élections libres", a lancé Juan Guaido devant des dizaines de milliers de partisans réunis à Caracas.
A la suite de l'annonce, des heurts ont éclaté entre forces de l'ordre et partisans de l'opposition. Opposants et partisans du président Maduro sont descendus en masse dans les rues dans tout le pays, dans un climat de haute tension. Sept personnes sont mortes dans des troubles précédant les manifestations. Les commerces, écoles et institutions sont restés fermés tandis que de rares véhicules étaient visibles dans les rues. Dans la nuit de mercredi à jeudi, des foyers de protestation persistaient dans des quartiers populaires comme Petare, dans l'est de Caracas.
Comment sont nés ces troubles ?
Le Venezuela a connu un regain de tension après l’investiture, le 10 janvier, du président Nicolas Maduro pour un second mandat. L’élection présidentielle, qui s’était tenue en mai, est considérée comme illégitime par l’opposition et n’a pas été reconnue par une bonne partie de la communauté internationale. Les opposants au leader vénézuélien ont multiplié les attaques à son encontre après l’investiture, tentant notamment de convaincre l’armée, qui compte 365.000 soldats et 1,6 million de réservistes, loyale au président, de ne plus le soutenir.
La situation s’est envenimée lundi, quand des militaires, membre de la Garde nationale bolivarienne, se sont soulevés contre Nicolas Maduro. Après avoir dérobé des armes de guerre, ils ont enregistré des vidéos dans lesquelles ils désavouaient le président et appelaient la population à les soutenir. "Vous vouliez que l'armée allume la mèche, nous sommes en train de l'allumer, nous avons besoin de votre soutien", lançait ainsi un militaire. Dans la foulée, 27 d’entre eux avaient été arrêtés.
Dans la foulée du soulèvement des militaires, une trentaine d'émeutes ont été enregistrées dans des quartiers populaires de la capitale et de sa banlieue. Dans la nuit de lundi à mardi, des chars anti-émeutes ont patrouillé dans la capitale. Mercredi, l’opposition avait appelé à une manifestation pour réclamer un gouvernement de transition et la convocation d'élections libres. En réaction, les partisans de Nicolas Maduro avaient eux aussi appelé à manifester. Au total, les événements récents auraient entraîné la mort d’une dizaine de personnes.
Qui est Juan Guaido ?
Ingénieur de formation, engagé en politique depuis ses études, Juan Guaido a été élu président du Parlement vénézuélien, à 35 ans. Membre fondateur du parti Voluntad Popular ("Volonté populaire"), qui se décrit comme "progressiste, démocratique, pluraliste, social", il est devenu le visage de la contestation anti-Maduro, alors qu’il n’a été élu député qu’en 2015. Voluntad Popular fait partie d’Unidad, un regroupement de partis de centre-gauche et de centre-droit en faveur de l’instauration de la démocratie au Venezuela. En 2017, il avait pris part aux manifestations violemment réprimées par le régime (125 morts), héritant au passage d’une cicatrice au cou à cause d’une balle en caoutchouc tirée par la police.
Depuis son élection à la tête de l’Assemblée, le 5 janvier, Juan Guaido est poussé par ses soutiens à prendre le pouvoir. Menacé d’emprisonnement par le gouvernement de Maduro, il est arrêté quelques heures par les services de renseignement vénézuéliens le 13 janvier, sans motif clair. Lundi, il avait appuyé la rébellion d’un certain nombre de militaires, estimant que ce geste "montre le sentiment qui prévaut à l'intérieur" de l'armée. Convaincu du bien-fondé de son action, il affirme que les autorités en place "ne peuvent pas déclarer inconstitutionnel le désir de changement d'un peuple", a affirmé Juan Guaido.
Quelles sont les réactions internationales ?
Les États-Unis ont été les plus prompts à reconnaître la légitimité de Juan Guaido comme président en exercice, par la voix de Donald Trump. Dans la foulée, de nombreux pays ont embrayé et apporté leur soutien au leader de l’opposition : Argentine, Pérou, Canada, Colombie, Brésil, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Panama, Chili et Paraguay.
La France a de son côté apporté son soutien aux opposants de Nicolas Maduro. Emmanuel Macron a salué jeudi "le courage des centaines de milliers de Vénézuéliens qui marchent pour leur liberté" face à "l'élection illégitime de Nicolas Maduro" et assuré que l'Europe soutenait "la restauration de la démocratie". Mais pas de reconnaissance officielle de la prise de pouvoir de Juan Guaido. Le dialogue et de nouvelles élections "libres", c’est également la position de l’Union européenne, l’ONU, l’Espagne ou encore la Norvège.
Malgré tout, Nicolas Maduro bénéficie toujours du soutien de nombreux partenaires économiques du Venezuela. La Chine, le Mexique, la Bolivie, la Turquie, Cuba et la Russie ne reconnaissent pas la prise de pouvoir de Juan Guaido. Le Kremlin a ainsi dénoncé "l'ingérence étrangère" au Venezuela qu'il considère comme une "voie vers l'arbitraire et le bain de sang". "Frère Maduro, garde la tête haute, la Turquie se tient à vos côtés", a affirmé pour sa part le président Recep Tayyip Erdogan.
Que compte faire Nicolas Maduro ?
S’il ne s’est pas exprimé publiquement, Nicolas Maduro a fait savoir qu’il comptait sur l’armée pour rétablir son autorité. Le gouvernement a annoncé que le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino Lopez, et les commandants militaires régionaux allaient apporter leur "appui au président constitutionnel" et à "la sauvegarde de la souveraineté" du pays. L'armée, soutien indéfectible de Nicolas Maduro, a qualifié de "coup d’État" l’autoproclamation de Juan Guaido. "L'armée défend notre Constitution et est garante de la souveraineté nationale", a affirmé le ministre de la Défense.
Le gouvernement compte également sur la Cour suprême qui devait se réunir jeudi. Peu avant la proclamation de Juan Guaido, la plus haute juridiction du pays, composée de fidèles au régime, avait annoncé avoir ordonné une enquête pénale contre les membres du Parlement en les accusant d'usurper les prérogatives du président.