"Jamais ! Le défaut ne se produira jamais au Venezuela !". La méthode Coué du président Nicolas Maduro n'a visiblement pas eu l'effet escompté. Quelques heures après des rendez-vous cruciaux impliquant des créanciers internationaux à Caracas et New York, l’agence de notation financière Standard & Poor’s Global Ratings a déclaré lundi le pays "en défaut partiel" sur sa dette extérieure.
Autrefois plus riche nation d'Amérique latine, le Venezuela risque désormais de se retrouver coupé des marchés, et de devoir affronter des poursuites et la saisie d'actifs et de filiales à l'étranger.
Que signifie ce "défaut partiel" ?
Dans le cas du Venezuela, qui a coupé les ponts avec le FMI depuis 2007, ce sont des emprunts contractés sur les marchés financiers, auprès d'investisseurs privés, qui posent problème. Selon Standard & Poor's, le gouvernement vénézuélien n'a pas réussi à payer une échéance de 200 millions de dollars portant sur deux obligations, même à l'issue d'un délai de grâce de trente jours.
Un tel "défaut" partiel n'est pas si rare que ça : depuis 1999, l'agence américaine a recensé 26 défauts de paiements similaires dans le monde, certains pays y ayant été confrontés plusieurs fois. Le pays sud-américain n'est donc pas en défaut sur l'ensemble de sa dette extérieure, estimée à 150 milliards de dollars. Du moins pour l'instant.
© ANELLA RETA, GUSTAVO IZUS / AFP
Le pays peut-il aller vers le défaut total ?
Aujourd'hui, le défaut total - c'est-à-dire l'impossibilité totale de payer la totalité de sa dette extérieure – reste un scénario probable.
D'ici la fin de l'année, le pays sud-américain doit d'ailleurs rembourser au moins 1,47 milliard d'intérêts de divers bons, et enfin 8 milliards environ en 2018. Mais ses réserves de devises ont fondu à 9,7 milliards de dollars. L'agence de notation estime ainsi qu'"il y a une chance sur deux que le Venezuela fasse à nouveau défaut dans les trois prochains mois".
"Le défaut partiel signifie qu'ils n'ont pas honoré leur échéance, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne vont pas le faire plus tard", nuance néanmoins Sébastien Villemot, spécialiste des dettes souveraines à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), joint par Europe1.fr.
Que risque concrètement le Venezuela ?
La première conséquence d'une telle mesure est de couper le pays du marché financier international, sur lequel il ne peut plus emprunter. Dans le cas de Caracas, Washington a interdit fin août à ses banques et à ses citoyens d'acheter de nouvelles obligations ou de négocier des accords avec le gouvernement vénézuélien.
Les créanciers - les principaux sont la Chine et la Russie, mais on compte aussi des prêteurs américains - sont ensuite, en théorie, en droit de saisir les actifs du pays situés à l'étranger. Pour le Venezuela, il s'agit notamment de la compagnie pétrolière Citgo, basée aux États-Unis, où elle a des activités de raffinage et dispose de stations-service.
Sur le plan judiciaire, le pays qui entre en défaut s'expose également à des sanctions internationales, notamment des représailles commerciales des pays de résidence des créanciers. Il écope aussi de la réputation de "mauvais payeur", qui compliquera pendant des années son financement. Le FMI peut éventuellement lancer un plan de sauvetage, mais cette option est exclue pour le moment pour Caracas, qui considère encore l'institution comme un adversaire politique.
Le pays peut-il encore restructurer sa dette ?
"Une restructuration, ce n'est jamais simple. Mais avec les sanctions fixées par les Américains, ça l'est encore moins", prévient un spécialiste du marché de la dette à l'AFP, sous couvert d'anonymat.
De toute façon, "c'est un peu tard pour restructurer la dette", souligne quant à lui Ludovic Subran, chef économiste chez l'assureur-crédit Euler Hermes, auprès de l'agence. Selon lui, vendre des actifs, tels que des raffineries pétrolières, n'est pas envisageable pour régler la situation financière du Venezuela. "Quand un pays est au pied du mur, il vend ses bijoux pas cher. Et de toute façon, qui serait prêt à acheter dans le contexte actuel ?", s'interroge-t-il.
" Quand un pays est au pied du mur, il vend ses bijoux pas cher "
"Il n'est jamais trop tard pour restructurer", contraste encore Sébastien Villemot. "Parfois, il est dans l'intérêt des créanciers d'accepter une restructuration. À partir du moment où on saigne un pays, on peut détruire son économie, et donc la base de remboursement si les mesures d'austérité sont trop fortes", détaille le chercheur à l'OFCE, qui établit plusieurs scénarios : "soit allonger les délais de paiement ou diminuer les intérêts, voire annuler tout ou une partie de la dette".
Sur qui le Venezuela peut-il compter ?
Pour contourner les sanctions américaines, les dernières cartes à jouer pour le régime semblent être celles de la Russie et la Chine, deux alliés auxquels Caracas doit respectivement 8 et 28 milliards de dollars. La question est de savoir s'ils sont encore disposés à maintenir leur soutien financier au pays pétrolier.
Pour l'instant, rien ne laisse supposer le contraire : Pékin a déclaré mardi que sa coopération avec Caracas dans ce dossier "se déroule normalement" et Moscou doit signer mercredi un accord pour restructurer pour trois milliards de dollars de créances vénézuéliennes, selon des sources concordantes.
Mais pour l'économiste vénézuélien Orlando Ochoa, tout cela est de l'ordre de la "spéculation". "Ces deux pays sont apparemment arrivés au bout de ce qu'ils peuvent faire", estime-t-il. "Politiquement, bien sûr que la Russie a intérêt à aider le Venezuela", admet Ludovic Subran. "Mais le problème ne serait que repoussé", les marchés ayant identifié le pays pétrolier comme le plus gros risque actuel pour des investissements.
L'opération peut aussi attirer des fonds "vautours" voulant profiter de la situation de faiblesse de l'État pour obtenir des taux élevés ou lancer des procédures judiciaires, comme ce fut le cas lors du défaut argentin de 2001 : ces complications avaient alors allongé considérablement les négociations.
Selon Ludovic Subran, le pays pourrait aussi tenter de protéger à tout prix PDVSA, sa société pétrolière. Mais celle-ci a également été placée en défaut partiel par Fitch, après avoir raté deux échéances. "Les actifs pourraient être saisis et du coup il n'y aurait plus de revenus du pétrole, donc plus possible de financer le compte courant", prévient-il.
Quelles conséquences pour le peuple vénézuélien ?
Alors que la population souffre déjà de graves pénuries d'aliments de médicaments, faute d'argent pour les importer, le défaut de paiement ne peut qu'aggraver la situation de chaos.
Déjà quelque 500.000 Vénézuéliens – sur 31 millions – ont fui le pays en direction de la Colombie ou des pays voisins. Si l'ensemble de la région pourrait ainsi être impactée, le FMI s'est voulu rassurant, le mois dernier. L'institution a dit prévoir "des effets minimes de cette crise sur les autres pays".