"Je ne veux pas qu'ils arrêtent mon père, je ne veux pas qu'ils l'expulsent." La petite voix, plaintive, fait partie des extraits qui bouleversent l'Amérique depuis près d'une semaine. Elle appartient à un enfant, détenu dans un centre pour mineurs, tandis que ses parents, en situation illégale, ont été arrêtés. Enregistré par une source anonyme, il fait partie des victimes de la nouvelle politique migratoire américaine, passée début mai à la "tolérance zéro" : les sans-papiers arrêtés avec leurs enfants, jusque-là relâchés avec une citation à comparaître, sont désormais poursuivis et écroués. Les mineurs sont hébergés par le gouvernement américain de leur côté, dans des structures grillagées, que plusieurs témoignages présentent comme surpeuplées.
Des enfants en pleurs. Selon les derniers chiffres officiels, 2.342 enfants ont ainsi été séparés de leurs familles entre le 5 mai et le 9 juin. Près de la frontière mexicaine, ils résident dans de vastes bâtiments, parfois des supermarchés reconvertis. La polémique, qui court depuis plusieurs jours, a brusquement enflé lundi lorsque le site d'information ProPublica a publié un enregistrement réalisé dans l'un de ces centres. Le document, anonymement transmis au média via une avocate spécialiste des Droits de l'Homme, est présenté comme datant de la semaine dernière. On y entend des pleurs et des cris d'enfants, une fillette du Salvador récitant le numéro de téléphone de sa tante pour qu'elle vienne la chercher, ou encore un petit garçon souffler d'une voix inquiète qu'il vient du Guatemala.
This is the excruciating audio of children crying for their parents after being separated from them at the US-Mexico border, published by investigative nonprofit ProPublica https://t.co/OriaAxiN8ppic.twitter.com/rQzzkKinIy
— CNN (@CNN) 19 juin 2018
Selon CNN, les mineurs de ce centre ont entre 4 et 10 ans et l'enregistrement a été effectué dans les 24 heures suivant la séparation d'avec leurs parents. La semaine dernière, la chaîne avait déjà diffusé l'interview d'une avocate venant en aide aux sans-papiers arrêtés sur le sol américain, racontant les conséquences de la nouvelle politique migratoire. Elle y expliquait notamment avoir rencontré une mère hondurienne à qui sa fille avait été enlevée tandis qu'elle allaitait.
"Gouverner avec cœur". Les réactions continuent depuis de se multiplier de la part de représentants associatifs, mais aussi de membres de tous les partis politiques américains. Qualifiée "d'inadmissible" par l'ONU, la pratique consistant à séparer les famille n'est "rien de moins que de la torture" selon la directrice américaine d'Amnesty International Erika Guevara-Rosas. La cheffe des démocrates à la Chambre des représentants a de son côté dénoncé "une politique inhumaine et barbare". L'épouse de Donald Trump, Melania, peu habituée des déclarations médiatiques, est même sortie de sa réserve par la voix de sa porte-parole, affirmant détester "voir des enfants séparés de leur famille" et penser que son pays "doit respecter la loi mais doit aussi être gouverné avec cœur." L'ex-Première dame Laura Bush a elle aussi rompu sa traditionnelle discrétion, dénonçant une politique "cruelle".
I live in a border state. I appreciate the need to enforce and protect our international boundaries, but this zero-tolerance policy is cruel. It is immoral. And it breaks my heart.https://t.co/he1uw1E96A
— Laura Bush (@laurawbush) 18 juin 2018
Lundi, la ministre de la Sécurité intérieure Kirstjen Nielsen a balayé ces critiques d'un revers de main, affirmant que les rumeurs de mauvais traitements des enfants dans les centres "sont fausses" et soulignant que les familles se présentant spontanément au poste de frontière pour demander d'asile ne sont, elles, pas séparées. L'administration insiste également sur le fait que la majorité des mineurs hébergés dans ces centres ont été pris en charge alors qu'ils se trouvaient seuls, sans adulte. Selon Le Monde, les enfants y passent en moyenne une cinquantaine de jours, avant d'être rapprochés de leurs parents grâce à "des tests ADN et dentaires". "Les États-Unis ne deviendront pas un camp pour migrants et nous ne deviendrons pas un centre de rétention pour réfugiés", a quant à lui promis Donald Trump, lundi, se disant attristé par le sort des mineurs ainsi isolés.
Un bras de fer politique
Par cette mesure, la Maison-Blanche affirme vouloir décourager les clandestins de passer la frontière. Mais plus largement, il s'agit d'un bras de fer politique pour Donald Trump, qui tente de faire passer une très stricte réforme de l'immigration au Congrès. Celle-ci prévoit notamment le déblocage d'une enveloppe de 25 millions de dollars par le Congrès.