Il y a 100 ans, Londres a pris une décision qui a modifié en profondeur la géopolitique du Proche-Orient. Lord Arthur Balfour, alors ministre des Affaires étrangères, se prononce dans une lettre rendue publique en faveur de l'installation des juifs en Palestine. C'est alors la première fois que le sionisme, un nationalisme juif créé au 19e siècle, bénéficie de la garantie officielle d'un Etat et pas des moindres : la Grande-Bretagne, à la tête d'un immense empire colonial, fait partie des grandes puissances mondiales. Cet anniversaire qui sera fêté jeudi soir à Londres est encore mal vu par les Palestiniens. Europe 1 décrypte pour vous les enjeux de cet événement historique.
Qui est Arthur Balfour ?
Quand il fait sa déclaration en 1917, Lord Arthur Balfour, d'origine écossaise, est le ministre britannique des Affaires étrangères. Il est loin d'être un débutant en politique. Il a été en effet Premier ministre de 1902 et 1905, période durant laquelle il participe à la signature de l'Entente Cordiale entre son pays et la France.
Quand la Première guerre mondiale éclate, il oublie les querelles de partis et fait son entrée au gouvernement de coalition, d'abord comme premier Lord de l'Amirauté puis au Foreign Office. Il est alors chargé d'obtenir l'entrée en guerre des Etats-Unis. Mais il doit aussi chercher à affaiblir les ennemis de la Grande-Bretagne dans le conflit : l'Allemagne et ses alliés, l'Autriche-Hongrie et l'Empire Ottoman.
Que contenait sa déclaration ?
Le 2 novembre 1917, Lord Balfour envoie une lettre à Lionel Walter Rothschild, puissant banquier anglais. Ce dernier, considéré comme un des leaders de la communauté juive britannique, est aussi le président de l'antenne sioniste anglaise.
La missive, qui est aussi publiée dans le Times quelques jours après, apporte très clairement le soutien de Londres à la création d'un foyer juif au Proche-Orient : "le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif".
Pourquoi le Royaume-Uni a soutenu l'installation des Juifs en Palestine ?
Les historiens avancent plusieurs pistes pour expliquer le soutien de Londres au retour des juifs en Palestine. Une des explications privilégiées est que Lord Balfour voulait attirer la sympathie des juifs américains. Alors que les Etats-Unis sont entrés en guerre en 1917 auprès du camp britannique, les juifs américains, eux, continuent à plutôt soutenir le camp de l'Allemagne réputé plus favorable à leur religion. Il faut dire que les alliés de la Grande-Bretagne n'avaient rien pour rassurer les juifs des Etats-Unis : la France, considérée par beaucoup comme antisémite notamment suite à l'affaire Dreyfus, et la Russie tsariste où de violents pogroms anti-juifs avaient régulièrement lieu.
Une autre explication pour expliquer la lettre de Balfour à Rothschild est la volonté de Londres de se tailler une enclave pro-britannique au Proche-Orient. En 1917, l'Empire Ottoman qui englobait la Palestine et qui était alliée à l'ennemi allemand, s'est effondré, à la grande satisfaction de Londres. Secrètement, le Foreign Office avait alors négocié avec Paris pour se partager ce vaste territoire. Londres aurait alors absolument voulu un état-tampon entre le Liban dévolue à la France et le très précieux canal de Suez, vital au commerce britannique.
Enfin, une dernière explication avancée par Arthur Balfour lui-même est son désir de voir les juifs quitter le Royaume-Uni. Réputé antisémite, il s'était déjà fait connaître quand il avait été Premier ministre par des lois anti-immigration très dures, afin d'empêcher l'installation de juifs d'Europe de l'est en Grande-Bretagne.
La déclaration de Balfour a-t-elle favorisé la création de l'Etat d'Israël ?
Après la fin de la Première guerre mondiale, la déclaration Balfour est reconnue officiellement en 1922 par la Société des Nations (SDN, l'ancêtre de l'ONU). Dans la foulée, elle confie à la Grande-Bretagne un "mandat sur la Palestine", c'est à dire la responsabilité d'administrer ce territoire qui englobe alors l'actuelle Jordanie, d'en assurer la sécurité et la bonne santé économique.
L'administration anglaise qui investit alors le territoire veut satisfaire à la fois Arabes et juifs. Pendant la Première guerre mondiale, les Britanniques avaient en effet aussi promis aux Arabes un pays indépendant. La nouvelle acquisition britannique est donc divisée en deux zones distinctes : la TransJordanie, interdite aux juifs et confiée à l'autorité d'Abdallah Ibn Huseyn d'un côté et de l'autre, la Palestine déjà habitée par une petite communauté juive et destinée à recevoir les juifs d'Occident. Des heurts très violents éclatent cependant entre juifs et Arabes à partir de la fin des années 1920. L'immigration juive, elle, augmente de plus en plus dans un contexte d'antisémitisme croissant en Occident.
Suite aux traumatismes de la Seconde guerre mondiale et notamment les crimes nazis envers les juifs d'Europe, l'Onu met fin au mandat britannique en Palestine en novembre 1947 et se prononce en faveur de la création de l'Etat d'Israël et d'un Etat arabe en Palestine. Le 14 mai 1948, Israël proclame son indépendance.
Pourquoi les Palestiniens contestent aujourd'hui cet anniversaire ?
Jeudi soir, à l'occasion du 100e anniversaire de la déclaration Balfour, un dîner à la Lancaster House de Londres va réunir le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son homologue britannique Theresa May. Une festivité qui déplaît fortement à la communauté palestinienne, dont l'existence a été totalement ignoré par Lord Balfour et qui sont toujours aujourd'hui en attente d'un Etat. Pour Moustapha Barghouti, membre du comité central de l'Organisation de libération de Palestine, "la déclaration Balfour est un crime, qui a posé les bases du nettoyage ethnique du peuple palestinien en 1948", rapporte le site de RFI. Moins radical, Nabil Shatt, conseiller du président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, demande cependant des excuses de la part du Royaume-Uni. "C’est le moment de rappeler au monde et à la Grande-Bretagne les conséquences de cette déclaration Balfour tout en leur demandant de s’excuser pour la douleur et la destruction qu’ils ont causées". Et de demander des compensations : "l’une d’elles serait de reconnaître l’Etat de Palestine sur 22% du territoire historique, c’est-à-dire la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est".
Découvrez la lettre de Balfour dans sa totalité :
"Cher Lord Rothschild,
J'ai le grand plaisir de vous adresser, de la part du Gouvernement de Sa Majesté, la déclaration suivante, sympathisant avec les aspirations juives sionistes, déclaration qui, soumise au cabinet, a été approuvée par lui.
Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l'établissement en Palestine d'un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.
Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste,
Arthur James Balfour"