Le président Emmanuel Macron arrivera lundi à Rabat flanqué du nouveau ministre de l'Intérieur, un faucon en matière d'immigration qui agite la menace des visas face au Maroc. Mais le sujet ne devrait pas assombrir la confiance retrouvée entre Paris et Rabat. Bruno Retailleau souhaite notamment conditionner la politique de visas à la délivrance des laissez-passer consulaires, documents indispensables pour renvoyer des étrangers dans leur pays d'origine. Début octobre, il citait l'exemple du Maroc : en 2023, 238.000 visas ont été accordés aux ressortissants marocains pour seulement 1.680 retours forcés sur leur sol.
Un épisode "a été catastrophique" pour les relations diplomatiques
"Si vous ne nous délivrez pas plus de laissez-passer consulaires pour expulser vos ressortissants délinquants, de notre côté, nous délivrerons moins de visas à l'ensemble de vos ressortissants", lançait-il aux pays concernés. Une stratégie déjà employée à l'automne 2021 par son prédécesseur Gérald Darmanin, qui avait décidé de réduire de moitié l'octroi de visas pour les Marocains, Algériens et Tunisiens. La décision avait empoisonné les relations diplomatiques entre France et Maghreb. Le Maroc avait dénoncé une mesure "injustifiée". Les ONG l'avaient jugée "humiliante". Les milieux francophones marocains avaient été particulièrement affectés.
Cet épisode "a été catastrophique" pour les relations diplomatiques, rappelle Pierre Vermeren, historien et professeur à l'université de la Sorbonne à Paris. "Il serait donc étonnant que la France recommence la même erreur". Paris avait finalement fait machine arrière en décembre 2022. La cheffe de la diplomatie de l'époque Catherine Colonna s'était rendue à Rabat pour annoncer en personne la fin de cette restriction et tenter de renouer avec le Royaume.
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Un partenariat "durable"
Christophe Lecourtier, ambassadeur de France au Maroc, avait, lui, fait un mea-culpa public. Jeudi sur la radio RTL, Bruno Retailleau a annoncé la nomination d'un "missi dominici qui aura cette obsession de faire avec des pays tiers, des pays d'origine, des pays de transit, des accords bilatéraux". Mais à l'approche de la visite d'Etat, il a pris le soin de citer le Maroc comme "un pays sûr" où l'on peut "accélérer un certain nombre de réadmissions".
Le 20 octobre, le Premier ministre, Michel Barnier avait déjà souligné dans Le Journal du Dimanche (JDD), qu'il fallait traiter la question des étrangers frappés par des obligations de quitter le territoire (OQTF) "dans un esprit de dialogue". Un débat a ressurgi en France sur la question des expulsions de migrants en situation irrégulière, après l'arrestation en septembre d'un Marocain suspecté du meurtre d'une étudiante et qui était sous OQTF. Cette visite sera "l'occasion d'écrire un nouveau chapitre de notre relation", a pour sa part affirmé le ministère des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, qui sera aussi du voyage, dans un entretien à la Tribune Dimanche. "Il faut tirer les leçons des erreurs du passé. Il faut aborder cette question dans le cadre d'un partenariat durable et d'un dialogue global" et non "sous l'angle de la transaction", a-t-il ajouté.
Un changement de méthode pour un sujet épineux. La rigidité française sur la question migratoire va à l'encontre de ses prétentions affichées d'être un pays attractif dans sa sphère traditionnelle d'influence - dont le Maroc, ex-colonie française, fait partie - et même au-delà. Le Royaume serait toutefois "prêt à davantage de souplesse et de compromis sur cette question" que Tunisie et Algérie, jugés moins conciliants par Paris, pour "soigner son image en France", estime Pierre Vermeren.
Le Maroc n'a délivré que 725 laissez-passer consulaire l'année dernière, alors que la France a émis plusieurs milliers d'OQTF contre des ressortissants marocains. En 2021, le taux d'expulsion vers le Maroc était seulement de 2,4%. Dans le même temps, la France a accordé près de 250.000 visas aux Marocains. Une situation inégale pour Bruno Retailleau qui fera lui aussi partie du voyage. Le ministre de l'Intérieur n'a qu'un seul objectif : renégocier les accords avec le Maroc pour durcir les conditions d'accueils d'un côté et faciliter le retour des clandestins de l'autre.
Depuis la mort tragique de la jeune Philippine, assassinée par un migrant marocain sous OQTF, l'action de Bruno Retailleau bénéficie maintenant d'un large soutien populaire, dans les récents sondages. Reste à savoir si cette approbation sera suffisante pour convaincre Emmanuel Macron de s'emparer lui aussi du sujet, lors de son entretien avec le roi Mohammed VI.
"Pas de leçons à recevoir"
"Le Maroc est prêt à rapatrier tout migrant irrégulier dont il est attesté qu'il est Marocain et est parti depuis le territoire marocain", a ainsi expliqué début octobre le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita. Mais il avait aussi souligné que Rabat n'avait "pas à recevoir de leçons" en matière de lutte contre l'immigration clandestine. Le sujet reste sensible mais "je ne pense pas que la question migratoire puisse chambouler" la confiance retrouvée entre les deux pays, affirme Medhi Alioua, sociologue à l'Université internationale de Rabat. Car la relation bilatérale est désormais avant tout vue à l'aune de la position de Paris sur le Sahara Occidental, un territoire considéré comme "non autonome" par l'ONU, qui oppose depuis un demi-siècle le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.
Et cet été, la France, après des décennies d'hésitations, s'est finalement positionnée en faveur de Rabat, partisan d'une autonomie du territoire sous sa souveraineté. Ce faisant, Paris s'est attiré de vives critiques d'Alger. "Pour Rabat, c'est le seul critère qui compte aujourd'hui dans sa politique étrangère avec la France", renchérit Hasni Abidi, directeur du Centre d'études sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Or dans une lettre adressée fin juillet au roi du Maroc Mohammed VI, Emmanuel Macron affirmait que "le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine".