Plusieurs pays et dirigeants ont rejeté lundi les révélations d'une vaste enquête du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) accusant plusieurs centaines de responsables politiques et leurs proches d'avoir dissimulé des avoirs dans des sociétés offshore, notamment à des fins d'évasion fiscale. Publiée dimanche, cette enquête, à laquelle ont collaboré environ 600 journalistes, s'intitule "Pandora Papers", référence à la légende de la boîte de Pandore. Elle s'appuie sur quelque 11,9 millions de documents provenant de 14 sociétés de services financiers et a mis au jour plus de 29.000 sociétés offshore.
Selon ces documents, le roi Abdallah II de Jordanie a créé au moins une trentaine de sociétés offshore, c'est-à-dire dans des pays ou territoires à fiscalité avantageuse, et acheté par leur biais 14 propriétés de luxe aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, pour plus de 106 millions de dollars. En Jordanie, le Palais royal a déclaré lundi que ces "informations de presse sont inexactes, déformées et exagérées" et qu'elles constituent une "menace pour la sécurité du monarque et celle de sa famille".
Des "allégations infondées", selon le Kremlin
Mis en cause également, le Kremlin a rejeté lundi des "allégations infondées". Selon l'ICIJ, Svetlana Krivonogikh, une femme présentée par des médias russes comme une ex-maîtresse du président Vladimir Poutine, a acquis en 2003 un appartement pour quatre millions de dollars à Monaco via des comptes offshore. D'autres proches du président sont également cités. Le Premier ministre ivoirien Patrick Achi, qui contrôlait une société aux Bahamas jusqu'au moins 2006 selon l'enquête, a démenti lundi toute "action illicite".
Dimanche déjà, le Premier ministre tchèque, Andrej Babis, s'était défendu d'avoir placé 22 millions de dollars dans des sociétés écran pour financer l'achat du château Bigaud, une grande propriété à Mougins dans le sud de la France. "Je n'ai jamais rien fait d'illégal ou de mal", a-t-il tweeté, "mais cela ne les empêche pas d'essayer de me dénigrer et d'influencer les élections législatives tchèques", prévues vendredi et samedi prochain.
Le président équatorien, Guillermo Lasso, a, lui, logé des fonds dans deux trusts dont le siège se trouve aux États-Unis, dans le Dakota du Sud, selon l'ICIJ qui épingle également les présidents du Chili et de République dominicaine. "Tous mes revenus ont été déclarés et j'ai payé les impôts correspondants en Equateur, faisant de moi l'un des principaux contribuables dans le pays à titre personnel", a assuré dans un communiqué Guillermo Lasso, un ancien banquier. "Tous les investissements réalisés en Equateur et à l'étranger se sont toujours faits dans le cadre de la loi".
Le président congolais Denis Sassou Nguesso a détenu, pendant près de vingt ans, une société offshore dans les Iles Vierges britanniques, tandis que le président gabonais Ali Bongo y a contrôlé à la fin des années 2000 deux sociétés offshore, selon le quotidien français Le Monde, partenaire de l'ICIJ.
11,9 millions de documents
Au total, des liens ont été établis par l'ICIJ entre des actifs offshore et 336 dirigeants et responsables politiques de premier plan qui ont créé près de 1.000 sociétés dont plus des deux tiers aux Iles Vierges britanniques. Environ deux millions des 11,9 millions de documents proviennent du cabinet d'avocats panaméen Alcogal (Aleman, Cordero, Galindo & Lee) qui selon l'ICIJ a joué "un rôle majeur dans l'évasion des taxes" et est impliqué dans la création de comptes pour dissimuler l'argent de plus de 160 personnalités. "Alcogal rejette ces spéculations, inexactitudes et mensonges", selon un communiqué.
"Cela démontre que les gens qui pourraient mettre fin au secret de l'offshore, en finir avec ce qui s'y passe, en tirent eux-mêmes profit", a commenté dimanche dans une vidéo le directeur de l'ICIJ, Gerard Ryle. "On parle de milliers de milliards de dollars."
Pour Maira Martini, chercheuse de l'ONG Transparency International, cette enquête apporte une nouvelle "preuve claire que l'industrie offshore fait le jeu de la corruption et de la criminalité financière, tout en faisant obstruction à la justice". "Ce modèle économique" basé sur le secret financier "ne peut plus continuer".
Tony Blair et Shakira
Parmi les personnalités citées figurent également la chanteuse colombienne Shakira, le mannequin allemand Claudia Schiffer ou la légende indienne du cricket Sachin Tendulkar. Apparaissent aussi les noms de l'ancien Premier ministre britannique Tony Blair, pour l'achat d'un bien immobilier à Londres, du Premier ministre libanais Najib Mikati et de l'ancien ministre français Dominique Strauss-Kahn. L'ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) a fait transiter plusieurs millions de dollars d'honoraires de conseil à des entreprises par une société marocaine exempte d'impôts, selon l'enquête.
Au total, selon Le Monde, 600 Français apparaissent dans l'enquête dont "un conspirationniste d'extrême droite" qui a recouru à une société aux Seychelles "pour vendre livres et pilules miracles". Dans la plupart des pays, ces faits ne sont pas susceptibles de poursuites. Mais pour les dirigeants, l'ICIJ dresse un parallèle entre le discours anti-corruption de certains et leurs placements dans des paradis fiscaux.
Le président kényan Uhuru Kenyatta a ainsi maintes fois affirmé sa détermination à lutter contre la corruption et à obliger les officiels kényans à la transparence quant à leur patrimoine. Pourtant, selon les "Pandora Papers", Uhuru Kenyatta possède une fondation au Panama et plusieurs membres de sa famille directe détiennent plus de 30 millions de dollars logés dans des comptes offshore.