Le "devoir et la dignité" de la France est de "protéger" les Afghans qui l'ont aidée et qui sont menacés par l'arrivée des talibans au pouvoir, a assuré Emmanuel Macron dans son allocution télévisée lundi. Une déclaration évoquant directement la situation des auxiliaires afghans de l'armée française, dont le sort fait l'objet de polémiques depuis des années. Antoine Ory est membre du collectif d'avocats de l'association des interprètes et auxiliaires afghans de l'armée française. En contact permanent avec eux, il donne des nouvelles sur Europe 1 de "la grosse centaine de personnes" restée sur place. Un chiffre en évolution constante.
"On leur a donné pour consignes de ne surtout pas sortir tant qu'ils ne sont pas appelés par la cellule de crise du Quai d'Orsay ou par des officiels français à Kaboul", précise l'avocat. "Ils sont cloîtrés chez eux, très inquiets et avec l'espoir d'être appelés pour être amenés à l'aéroport et évacués vers la France."
"Une mort certaine"
"Ils sentent bien que si jamais ils n'arrivent pas à sortir de l'Afghanistan ils seront voués à une mort absolument certaine", ajoute Antoine Ory. "Ils savent très bien qu'en dépit des promesses des talibans ils seront pris pour des exemples et certainement exécutés." En effet, les talibans ont multiplié les promesses, assurant une amnistie aux fonctionnaires de l'Etat afghan ou déclarant que "la guerre était terminée" et qu'ainsi "tout le monde était pardonné". Mais Antoine Ory ne croit pas à ces annonces. Début juin, les talibans avaient appelé les interprètes afghans des forces internationales à "se repentir" mais à rester en Afghanistan après le départ des troupes occidentales. Ils ont assuré qu'ils ne courraient "aucun danger de leur part". Le 22 juin, un ancien employé des forces françaises, Abdul Basir, 33 ans et père de cinq enfants, avait pourtant été retrouvé mort par balles dans la province du Wardak.
Les auxiliaires de l'armée française ont eu différents rôles : interprètes, mais aussi chauffeurs et cuisiniers. "Ce sont des personnes qui faisaient le lien entre les soldats et la population locale", précise l'avocat. "Ces rôles n'étaient pas figés." Ainsi, ils sont facilement identifiables par les Afghans et par les talibans, donc particulièrement exposés depuis plusieurs années. "Beaucoup de mes clients recevaient des lettres de menaces chez eux, ce qui les contraignait à déménager très régulièrement. Cela montre bien que les talibans étaient suffisamment informés", ajoute Me Antoine Ory.
Les évacuations se poursuivent à l'aéroport de Kaboul, mais à ce stade aucun des clients défendus par Antoine Ory ou représentés par l'association n'a encore été évacué. "J'ai espoir que ce soit dans les prochains jours, mais je comprends que cela prenne un peu de temps", explique-t-il. "Le vrai enjeu et la vraie difficulté c'est de savoir comment, concrètement, on va leur permettre de regagner l'aéroport cerné par les talibans qui filtrent les allers et venues".
Un changement de position
Emmanuel Macron a affirmé lundi soir que "près de 800 personnes sont déjà sur le sol français" dans le cadre de ce "devoir" de protection. L’Élysée a précisé qu'entre 2001 et 2014, la France a accueilli plus de 800 civils ayant travaillé aux côtés de l'armée française lors de son engagement en Afghanistan (civils et familles compris). Ces dernières années, les avocats français de nombreux PCRL se sont régulièrement émus du refus opposé par les autorités ou la justice administrative à leurs demandes de visas, au motif que les éléments produits pour leur demande ne permettent pas "d'attester la réalité des craintes" qui pèsent sur leur vie.
"On se heurtait à une vraie volonté politique de s'opposer au retour de ces personnes", confie Antoine Ory. "Sur les 800 personnes embauchées par la France, 227 sont revenues dans le cadre de divers processus de 'relocalisation', c'est-à-dire des sélections au cas par cas par plusieurs ministères. Il y en a eu en 2012, en 2015 et 2018, sous pression de l'association notamment", précise-t-il. "Une cinquantaine de personnes sont arrivées par la voie contentieuse." Pour ceux qui avaient fait des demandes de visa, le ministre des Armées a fait preuve "de mauvaise foi" et "d'acharnement" pendant des années, selon lui, dans le refus de rapatrier ces personnes.