Ses détracteurs le décrivent comme indécis et incapable de fermeté. Le chef des travaillistes britanniques, Keir Starmer, a pourtant fait preuve d'une détermination sans états d'âme pour redresser méthodiquement le Labour, jusqu'à devenir le favori pour remplacer l'actuel Premier ministre. Nombreux sont les Britanniques qui connaissent encore mal ce député de 61 ans, pourtant bien parti pour entrer à Downing Street à l'issue des législatives du 4 juillet.
Cheveux gris, lunettes, style austère, cet ancien avocat spécialisé dans les droits humains, entré en politique sur le tard, aime rappeler ses origines modestes pour casser l'image de représentant typique de l'élite londonienne que ses opposants conservateurs tentent de lui accoler. "Mon père était outilleur et ma mère infirmière", rappelle l'élu qui porte le prénom peu commun du fondateur du Labour, Keir Hardie, un hommage de ses parents tous les deux fervents militants travaillistes.
Ses partisans louent son éthique de travail et son pragmatisme, affirmant qu'il dirigera le pays comme il a mené sa brillante carrière d'avocat puis de directeur du parquet. "La politique consiste avant tout à servir", a-t-il récemment déclaré dans un discours de campagne, répétant son mantra "le pays d'abord, le parti ensuite" après 14 ans de pouvoir conservateur émaillés de nombreux scandales. Ses détracteurs, eux, voient en lui un opportuniste peu charismatique, et Keir Starmer, parfois mal à l'aise sous les projecteurs, peine à se débarrasser de son image sérieuse - voire ennuyeuse.
Ce à quoi ses proches répondent que ce père de deux enfants, marié à une cadre dans le secteur de la santé et fan du club de foot londonien d'Arsenal, est drôle et loyal en privé.
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Anobli par Elizabeth II
D'origine modeste, Keir Rodney Starmer a grandi dans une petite maison de Londres avec trois frères et soeurs, une mère gravement malade et un père distant. Il a pris des cours de violon avec Norman Cook, ancien bassiste des Housemartins devenu célèbre sous le nom de Fatboy Slim. Après des études de droit à Leeds puis Oxford, Keir Starmer a défendu des syndicats, bataillé contre McDonald's et combattu la peine de mort dans les Caraïbes.
Il a travaillé et est devenu ami avec l'avocate Amal Clooney, et avait fait le récit d'un déjeuner arrosé avec elle et son mari, l'acteur George Clooney : "Il y avait pas mal de bouteilles vides sur la table". A la surprise de ses proches, il commence à s'orienter en 2003 vers des postes plus établis, et participe à la reconstruction des services de police en Irlande du Nord après les Troubles.
Il prend la tête du parquet d'Angleterre et du Pays de Galles en 2008, où il supervisera des poursuites contre des députés abusant de leurs frais de mandat, des journalistes accusés de piratages téléphoniques ou des jeunes lors des émeutes de 2011 en Angleterre. Keir Starmer a été anobli en 2014 par la reine Elizabeth II, mais utilise rarement le préfixe "Sir".
Repositionnement du Labour
Ce juriste entre ensuite en politique sur le tard, et est élu député travailliste d'une circonscription du nord de Londres en 2015. Quelques semaines avant, sa mère meurt d'une maladie articulaire rare qui l'avait empêchée de marcher pendant de nombreuses années. En 2021, le leader travailliste avait fondu en larmes en racontant lors d'une interview télévisée comment sa mort atroce avait "brisé" son père.
Un an après avoir été élu député, Keir Starmer a fait partie de la fronde contre l'ancien chef du Labour, le très à gauche Jeremy Corbyn, accusé d'avoir manqué de leadership pendant la campagne du Brexit. Malgré ses critiques, il devient le porte-parole des travaillistes sur les questions liées au Brexit - contre lequel il a voté - avant de prendre en avril 2020 la tête du parti, qui vient de subir une défaite historique face aux conservateurs menés par Boris Johnson.
Jeremy Corbyn, accusé d'avoir laissé l'antisémitisme prospérer dans les rangs du Labour, a depuis été suspendu par Keir Starmer. Avec la même fermeté, ce dernier a recentré le parti, sans concession pour la gauche du parti qui l'accuse d'avoir trahi un certain nombre de ses engagements, notamment celui de supprimer les frais de scolarité universitaires. Son repositionnement stratégique du Labour révèle surtout son ambition et sa détermination à réussir.
"Quand on est né sans privilèges", a-t-il déclaré, "on ne contourne pas les problèmes sans les résoudre et on ne cède pas face aux instincts des organisations qui refusent le changement".