Ce n'est pas illégal tant que c'est déclaré, mais c'est flou, très flou même parfois. Et bien peu contrôlé. Au Parlement européen, près du tiers des élus (31%) exercent, en plus de leur mandat à plein temps, une activité rémunérée, comme le révèle Transparency International EU dans un rapport publié mardi matin. L'ONG, qui a réalisé un travail de fourmi en examinant 2.000 déclarations d'intérêts, alerte sur le manque de garde-fous vis-à-vis de cette pratique répandue, qui présente pourtant un risque réel de conflits d'intérêts.
18 à 41 millions d'euros d'activités annexes. Les chiffres publiés par Transparency International EU sont édifiants : quelque 1.366 activités parallèles sont aujourd'hui déclarées par les eurodéputés. Ce qui représente entre 18 et 41 millions d'euros (l'ampleur des écarts étant due au fait que les élus ne déclarent que des revenus mensuels bruts, eux-mêmes compris dans une large fourchette). Entre 9 et 30 députés européens gagnent même plus grâce à leur profession annexe qu'avec leur salaire du Parlement. Et si 24 d'entre eux ont, selon Transparency International EU, contrevenu au code de conduite de l'institution dans les cinq dernières années, aucun n'a jamais été condamné pour violation de l'éthique.
" Avoir un job parallèle en plus d'une activité à plein temps de député peut créer des conflits d'intérêts ou empêcher les eurodéputés de consacrer un temps suffisant à leur rôle en tant qu'élu. "
Un risque de conflits d'intérêts. "La justification classique pour un deuxième job est que cela permet aux élus de garder un lien avec leur métier et de retourner à leur activité précédente lorsque leur mandat s'achève. D'autres disent que cela leur permet de garder un lien avec leur électorat", écrit l'ONG dans son rapport. "Mais avoir un job parallèle en plus d'une activité à plein temps de député peut aussi créer des conflits d'intérêts, ou empêcher les eurodéputés de consacrer un temps et une attention suffisants à leur rôle en tant que représentant élu."
Trois eurodéputés travaillent pour des lobbies. Transparency International EU souligne notamment que trois eurodéputés exercent actuellement une activité rémunérée pour des organisations inscrites dans le registre européen des lobbies. La luxembourgeoise Viviane Reding, par exemple, est membre du conseil d'administration de la Fondation Bertelsmann, l'une des plus grandes entreprises de médias au monde qui possède, entre autres, le groupe Radio Télévision Luxembourg. Agnes Jongerius, eurodéputée néerlandaise est au conseil de surveillance de PostNL, la poste des Pays-Bas. Enfin, Paul Rübig travaille pour la chambre du commerce autrichienne.
Muselier et Dati au classement. Les Français ne sont pas en reste. En termes de revenus issus d'activités parallèles par pays, la France est même première au classement. Dans la liste des eurodéputés gagnant le plus d'argent grâce à des travaux annexes à leur mandat, Renaud Muselier figure en 4e position. Ce médecin de profession, membre des Républicains, a gagné entre 816.000 et 1,6 million d'euros comme directeur d'une société médicale. Derrière lui, on retrouve Rachida Dati, payée 768.000 euros comme avocate (ces sommes correspondent au total de leurs émoluments depuis qu'ils ont commencé une activité parallèle à leur mandat de députés, et jusqu'au 3 juillet dernier). Plus incongru, Philippe Loiseau, eurodéputé du Rassemblement national (ex-FN) prend la 20e position en ayant gagné entre 203.000 et 419.000 euros en tant qu'agriculteur.
" Les hauts revenus sont particulièrement inquiétants quand la description des activités se limite à "consultant", "avocat" ou "freelance". Le manque de détails rend le contrôle impossible. "
Entrepreneur et joueur de poker. Les plus fortunés sont Renato Soru, eurodéputé italien également directeur de Tiscali, le fournisseur d'accès à Internet qu'il a créé (environ 1,5 million d'euros) et le lituanien Antanas Guoga qui, à ses heures perdues, est également entrepreneur et joueur de poker (entre 1,3 et 1,4 million d'euros).
Transparency International EU attire notamment l'attention sur le peu de précisions fournies par les élus. "Les hauts revenus sont particulièrement inquiétants quand la description des activités se limite à "consultant", "avocat" ou "freelance". Le manque de détails rend le contrôle de ces activités par les citoyens, les journalistes ou la société civile impossible", regrette l'ONG dans son rapport. Autre sujet d'inquiétude : "les activités commencées durant le mandat" qui "peuvent présenter un risque plus élevé de conflit d'intérêts puisqu'elles sont potentiellement liées directement à l'activité du député européen au Parlement".
Recommandations. Pour éviter tout conflit d'intérêts, Transparency International EU formule plusieurs recommandations. D'abord, "renforcer l'interdiction des activités de lobbies" et instaurer une période de carence de 6 à 24 mois après la fin d'un mandat. L'ONG réclame également des informations plus détaillées permettant "un contrôle pertinent des potentiels conflits d'intérêts" et la mise en place d'une autorité indépendante pour sanctionner les abus.