Après avoir annoncé officiellement sa candidature à la primaire des Républicains, le 23 février, lors d'une réunion publique à Vesoul, Bruno Le Maire lance sa campagne, samedi 5 mars, depuis les Docks de Paris. L'occasion, pour l'ancien ministre de l'Agriculture de Nicolas Sarkozy, de se poser une nouvelle fois comme celui qui fait bouger les lignes à droite. Son slogan, "le renouveau, c'est Bruno", le suit partout depuis 2014 et sa tentative avortée de s'emparer de la présidence de l'UMP. Mais son programme et son attitude marquent-ils une réelle rupture ?
- Le non-cumul des mandats
La théorie : Le député de l'Eure le dit et le répète : ce renouveau n'est pas une question d'âge. Ce qui ne l'empêche pas de rêver, à bientôt 47 ans, de ringardiser ses rivaux sexagénaires. Pour cela, Bruno Le Maire mise sur le dépoussiérage de la "pratique politique". Avec, en premier lieu, la fin du cumul des mandats, une limitation de leur exercice dans le temps et une baisse du nombre de parlementaires. Une position plutôt originale à droite.
La pratique : Le député a lui-même refusé d'être tête de liste pour les élections municipales à Evreux en 2014. Mais en juillet 2013, lors du vote du projet de loi contre le cumul des mandats présenté par le gouvernement socialiste, Bruno Le Maire l'avait rejeté. Une décision qu'il justifiait à l'époque par le manque d'audace du texte, mais aussi par la fidélité à sa famille politique. "Je ne veux pas faire le jeu de la confusion des partis qui nourrit le discours des extrêmes", avait-il écrit sur son blog. "Non, l'UMP et le PS, ce n'est pas la même chose."
- La transparence en politique
La théorie : Dans le sillage de l'affaire Cahuzac, Bruno Le Maire avait fait partie de ceux qui appelaient à plus de transparence en politique. "Il faut plus d'honnêteté", estimait-il encore vendredi dans une interview à La Provence.
La pratique : Bruno Le Maire a bien été l'un des premiers élus à publier sa déclaration de patrimoine, au moment où l'idée ne séduisait pas beaucoup d'élus, ni à droite ni à gauche. Mais il a également voté contre le projet de loi sur la transparence de la vie publique, en juin 2013. Même Laurent Wauquiez, pas vraiment connu pour être friand des textes socialistes, avait apporté sa voix à celui-ci. L'ancien ministre de l'Agriculture a également été pointé du doigt pour l'embauche de sa femme, Pauline Le Maire, comme collaboratrice parlementaire entre 2007 et 2013. Ce qui n'est certes pas interdit, mais ne fleure pas franchement la pratique politique moderne.
- Le renouvellement des responsables politiques
La théorie : Le député ne manque pas une occasion de rappeler que ses rivaux à la primaire ont déjà exercé des responsabilités. "Vous en avez assez de cette classe politique qui ne s’est pas renouvelée depuis trente ans ?", lançait-il devant les militants Les Républicains à Vesoul, le 23 février dernier. En coulisses, l'attaque de l'un de ses proches est plus violente encore : "Nicolas Sarkozy, c'est comme La Grande vadrouille. On l'a vu 15 fois, on ne regarde que si on n'a rien d'autre à faire."
La pratique : Le chantre du renouveau est un pur produit de l'élite à la française, passé par Sciences Po Paris, l'ENA et Normale Sup. Directeur de cabinet de Dominique de Villepin, il est ensuite passé secrétaire d'Etat aux Affaires européennes avant de devenir ministre de l'Agriculture. Un parcours pas franchement original, que Bruno Le Maire valorise en mettant en avant son expérience. En revanche, il a bel et bien démissionné de la haute fonction publique en 2012, lorsqu'il avait tenté une première fois de briguer la présidence de l'UMP, sans parvenir à réunir le nombre de parrainages nécessaire.
- Le programme social et économique
La théorie : Bruno Le Maire est un fervent partisan du renouvellement non seulement de la pratique, mais également des idées. A Vesoul, il avait parlé d'une nation "fatiguée des vieilles recettes et des vieilles ficelles", mettant en avant sa "liberté" de penser, quitte à ne pas être dans les clous idéologiques de son propre parti.
La pratique : Le député de l'Eure s'est effectivement démarqué de la plupart de ses colistiers de droite sur le mariage homosexuel. Lui qui vient d'un milieu catholique traditionnel s'est abstenu lors du vote du projet de loi Taubira et a, depuis, affirmé qu'il ne reviendrait pas dessus si jamais il se trouvait au pouvoir. On ne peut pas dire que Bruno Le Maire fasse un tel pas de côté sur les questions sociales, économiques ou sécuritaires. Ce libéral assumé chasse sur le terrain de Nicolas Sarkozy, celui de la "droite décomplexée". Il propose de plafonner les aides sociales aux deux-tiers du Smic, reprenant l'idée reçue très répandue à droite selon laquelle il est possible de mieux vivre avec des allocations sociales qu'en travaillant au salaire minimum. Enfin, Bruno Le Maire fait partie de ceux qui prônent l'expulsion des étrangers fichés S. "Il pense comme Buisson et se présente comme Juppé", ironise le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis.
- La passion pour l'écriture
La théorie : Bruno Le Maire met souvent en avant ses nombreux déplacements de terrain pour aller à la rencontre des Français. Il en affiche plus de 320 au compteur. Mais il compte également s'adresser à son électorat via l'écriture. Son dernier ouvrage, Ne vous résignez pas !, est paru le 24 février aux éditions Albin Michel.
La pratique : On ne peut pas dire que publier un livre soit l'initiative la plus originale de la rentrée, surtout à droite. Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon l'ont fait également. Mais Bruno Le Maire entretient néanmoins un rapport particulier à l'écriture. D'abord, il est l'auteur de ses propres livres. Ensuite, il est le seul à pouvoir revendiquer la production de romans érotiques pour la collection Harlequin dans sa prime jeunesse. Expérience dont il a gardé quelques traces, puisque dans son livre Le ministre, paru en 2004, il parlait de sa femme qui le masturbait dans sa baignoire. "Je suis une exception, je suis autant écrivain que politique ; c'est ce que me disent Antoine [Gallimard] et Philippe [Sollers]", confiait-il récemment au Monde dans l'une de ces envolées modestes dont le député de l'Eure a le secret. Pas sûr que l'orgueil soit un signe de renouvellement en politique.