Le "sondage bashing" est un sport national en général très pratiqué après une élection. Les politiques d’abord, les citoyens aussi, adorent détester ces études d’opinion qui sont pourtant des éléments incontournables pendant une campagne, a fortiori présidentielle. C'est encore vrai en 2017, dans une campagne folle, où les sondages succèdent aux sondages. Au-delà de la prudence face aux chiffres, auxquels les instituts eux-mêmes appellent constamment, il existe plusieurs niveaux de lecture face à la publication d’un sondage d’intentions de vote. Il faut souvent aller plus loin que les résultats bruts pour mesurer la portée d’une enquête. Quitte à en minimiser les enseignements.
- L’importance de la méthodologie
La notice méthodologique d’un sondage est tout à la fois sa fiche technique complète et le gage de son sérieux. Elle est d’ailleurs obligatoire et systématiquement publiée sur le site de la commission nationale des sondages, l’organe de contrôle des enquêtes d’opinion. Plusieurs critères méthodologiques sont à surveiller avec attention.
- L’échantillon. Les instituts de sondages travaillent à partir d’un échantillon défini selon la méthode des quotas. Le panel choisi doit donc être représentatif de la population française, sur des critères de genre, d’âge de catégories socio-professionnelles, de proximité politique, de situation géographique… Un sondage est donc avant tout une enquête statistique. Et c’est mathématique : "Plus l’échantillon est faible, plus il faut être prudent", rappelle Emmanuel Rivière, du pôle politique de Kantar-TNS Sofres. "C’est sûr que je suis plus à l’aise avec un échantillon de 1.500-2000 personnes plutôt que 1000. Il y a plus d’électeurs représentés dans toutes les catégories", assure Frédéric Dabi, directeur du pôle Opinion de l'ifop.
L’exemple (et le contre-exemple).Le dernier sondage Harris interactive publié le 23 février a été réalisé sur un échantillon de 5.249 personnes. C’est très important, et c’est un niveau rarement atteint, notamment pour des raisons évidentes de coût. A contrario, la dernière enquête Opinion Way avant le premier tour de la primaire de la gauche, publiée le 18 janvier, a été réalisée auprès d’un échantillon de seulement 536 personnes "certaines d’aller voter", alors que 7.002 personnes avaient été interrogées. C’est sans doute trop peu, et d’ailleurs, les résultats avaient été loin de ceux enregistrés quelques jours plus tard. Manuel Valls, finalement deuxième, avait ainsi été donné en tête, et Arnaud Montebourg recueillait 24%, contre moins de 18% en réalité.
- La marge d’erreur. Elle arrive systématiquement en premier dans la notice méthodologique, sous la forme d’un tableau qui croise le résultat en pourcentage et la taille de l’échantillon. Plus un résultat est extrême, dans le positif ou le négatif, plus la marge d’erreur est réduite. Parallèlement, plus l’échantillon est étroit, plus la marge est élevée. Bien souvent, cette marge se situe entre 1,5 et 2,5% "Quand, dans un sondage, Emmanuel Macron est à 21% et François Fillon est à 19%, il ne faut pas surinterpréter en concluant trop vite que l’un a pris le dessus sur l’autre. En fait, ils sont plus ou moins à égalité. Prendre pour argent comptant un écart de 2 points, c’est presque de la naïveté", explique Emmanuel Rivière, de la Sofres.
L’exemple.Dans la vague du 22 février du "rolling" quotidien de l’Ifop (voir plus bas), l’échantillon pris en compte est de 1.400 personnes. Pour un candidat situé aux alentours de 20%, la marge d’erreur est de l’ordre de 2,1 points. Emmanuel Macron, dont les intentions de vote sont pour tous les deux de 19%, se situent en fait entre 16,9 et 21,1%. Au final, la différence entre les deux se situent donc entre 0 et 3,2 points.
- La "date de terrain". Une campagne électorale est forcément rythmée par des temps forts, des rebondissements, des surprises. Celle de la présidentielle de 2017 en est l’illustration parfaite, entre résultats surprises aux primaires, "Penelope Gate", renoncement de François Bayrou en faveur d’Emmanuel Macron ou encore ralliement de Yannick Jadot à Benoît Hamon. Forcément, cela a un impact sur les sondages. Il faut donc regarder avec soin quand les enquêtes ont été réalisées. "C’est très important de savoir si tel ou tel événement de campagne a eu lieu", confirme Emmanuel Rivière.
L’exemple. Jamais donné en dessous de 24% d’intentions de vote dans tous les sondages avant les soupçons d’emploi fictif de son épouse, révélés dans le Canard Enchaîné du 26 janvier, François Fillon n’est jamais remonté au-dessus de 21% depuis. Désormais, c’est l’impact de l’alliance proposée par François Bayrou à Emmanuel Macron qui est attendu. Tout comme celui de l’accord trouvé entre l’écologiste Yannick Jadot et le socialiste Benoît Hamon.
- Les critères à surveiller
Surtout, la fiche méthodologique est une mine d’informations, parce qu’elle contient nombre d’autres indicateurs que le résultat mis en avant. Des indicateurs qui peuvent apporter de très importants enseignements que les seules intentions de vote. "Il faut faire l’effort d’aller voir la notice, avec l’ensemble des données", enjoint Frédéric Dabi.
- La sûreté du vote. C’est sans conteste le critère le plus important. Car il invite, surtout à deux mois du premier tour, à la pondération. La sûreté, de vote, c’est quand les personnes interrogées se disent sûres de leur choix. Logiquement, plus la date de l’élection est éloignée, plus cette sûreté de vote est basse. Et cela incite à la prudence. "Il reste beaucoup de temps, il peut encore se passer plein de choses", explique Emmanuel Rivière. "C’est donc plutôt à cette lecture-là qu’on essaye d’inviter." D’autant que la sûreté de vote n’est pas la même pour chaque candidat. Plus la sûreté de vote est élevée, plus le score potentiel d’un candidat s’en trouve conforté.
L’exemple.Le dernier sondage d’intentions de vote de BVA en date du 23 février donne Marine Le Pen à 27,5%, Emmanuel Macron à 21%, François Fillon à 19%. Mais parallèlement, seules 53% des personnes interrogées se disent sûres de leur choix. L’institut évalue donc à 47% ce qu’il appelle la volatilité de vote, c’est-à-dire la part d’électeurs susceptibles de changer d’avis. Mais dans le même temps, seules 23% de l’électorat potentiel de Marine Le Pen se dit capable de changer d’avis. Pour Emmanuel Macron, c’est 58%. La conclusion, c’est qu’autant la présidente du FN est donc quasiment certaine de rester à un niveau très élevée, autant le fondateur d’En Marche ! risque de voir son score baisser dans les semaines à venir.
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- Le souhait et le pronostic de victoire. A surveiller aussi, le souhait de victoire.Qui en dit long sur les motivations réelles de l’électorat, puisque la question n’est plus de savoir pour qui les personnes interrogées voteraient, mais quel candidat elles souhaitent voir gagner au final. Idem pour le pronostic de victoire, qui démontre que le plus souvent, les sondés ne croient pas forcément à la victoire finale de celui ou celle pour qui ils votent.
Les exemples. En ce qui concerne le souhait de victoire, la dernière enquête Kantar-TNS Sofres du 29 janvier dernier est édifiante. Alors que 25% des personnes interrogées déclarent qu’elles voteraient pour Marine Le Pen, le souhait de victoire de la présidente du Fn n’est qu’à 19%, comme pour François Fillon. Les deux candidats sont tout de même en tête de l’indicateur, devant Emmanuel Macron (16% et Benoît Hamon (11%).
Quant au pronostic de victoire, il est mesuré par l’Ifop. Et là encore, il donne des résultats parfois surprenants. Dans le sondage du 22 février, c’est Emmanuel Macron qui est devant, avec 22%. Suivent Marine Le Pen (22%) et François Fillon (17%). Mais c’est bien l’incertitude qui l’emporte, puisque 27% des personnes interrogées ne se hasardent pas à donner un pronostic. Une preuve supplémentaire qu’à deux mois du premier tour, la prudence est de mise.
- Présidentialité, critères de choix, potentiel électoral... D’autres critères existent, parfois spécifiques à un institut. BVA interroge ainsi les sondés sur la présidentialité, c’est-à-dire le sentiment qu’un candidat ferait ou non un bon président. Dans la dernière enquête, celle du 23 février, c’est Emmanuel Macron qui s’en sort le mieux avec 41% d’opinion positives, devant Benoît Hamon (33%) et Marine Le Pen (32%). Le même organisme interroge aussi son panel sur les critères de choix.
Fin janvier, Kantar-Sofres s’intéressait, dans son enquête d’intentions de vote, également au potentiel électoral, c’est-à-dire la proportion d’électeurs qui pourraient voter pour un candidat. Cet indicateur place Marine Le Pen à 33%, ce qui n’est pas bon signe pour elle, quand Emmanuel Macron est à 43%. Idem pour la stature présidentielle, proche de la présidentialité, et qui n’est pas bonne non plus pour la présidente du FN, avec seulement 28% de réponses positives, contre 45% au fondateur d’En Marche !
Ce n’est finalement qu’en prenant en compte tous ces critères qu’on peut tirer une conclusion. "Il faut mixer les indicateurs", invite Frédéric Dabi, de l'Ifop. Et bien souvent, l’enseignement, c’est qu’il ne faut pas aller trop vite en besogne. C’est le message martelé par les instituts, moins par les médias qui publient les sondages. "Il y a un écart entre la tendance très prudente des sondeurs et la tendance éditoriale des supports, qui ont envie qu’il se passe quelque chose", déplore ainsi Emmanuel Rivière.
- La loi des séries
Une photographie ? Non, "un film". Il est souvent d’usage de dire que le sondage n’est qu’une photographie d’une situation à un instant T. Souvent pourtant, les études n’ont de réelles valeurs que comparées aux précédentes. A cet égard, "il est très important de savoir quand a été fait la vague antérieure. Ce n’est pas la même chose de perdre 5 points en une semaine, et 5 points en un mois", insiste Emmanuel Rivière, de Kantar-TNS Sofres. "Et il est préférable de comparer des vagues venant du même institut". Son collègue de l’Ifop abonde : "On essaye plutôt de présenter un film de la campagne. Il faut regarder une série d’enquête par instituts et non pas au jour J. Le sondage n’est pas une photographie", explique en effet Frédéric Dabi.
Deux instituts ont poussé cette logique jusqu’à l’extrême : Ifop-Fiducial (pour Paris Match, iTélé et Sud Radio) et OpinionWay-Orpi (pour Les Echos et Radio Classique), qui publient un sondage quotidien, selon la méthode du "rolling". Ces organismes interrogent tous les jours environ 500 personnes environ et calculent leur résultat sur trois jours pour obtenir un échantillon de près de 1.500 personnes.
L’exemple. Les résultats de ces "rolling" permettent de suivre de manière très précise les évolutions des intentions de vote de chaque candidat. Les enquêtes Ifop montrent ainsi le dommage du Penelope Gate sur la courbe de François Fillon au tout début du mois de février, mais aussi le rattrapage dont bénéficie depuis quelques jours le candidat de la droite.