Deux enquêtes distinctes ont poussé la justice à procéder, mardi matin, à des perquisitions au domicile de plusieurs membres de la France insoumise, dont son leader Jean-Luc Mélenchon, ainsi que dans les locaux du mouvement. D'abord, celle sur l'affaire des assistants parlementaires européens, qui auraient en réalité travaillé pour le parti au niveau national, et non à Strasbourg. La seconde procédure concerne des dépenses suspectes dans les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2017.
Cette enquête-là, ouverte après deux signalements de Tracfin et de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) s'intéresse entre autres à certaines factures émises par Mediascop. Cette société de conseil aurait surfacturé plusieurs prestations, comme l'a révélé la cellule investigation de Radio France en février dernier. Dans une nouvelle enquête publiée vendredi, celle-ci détaille le contenu des factures incriminées.
Qu'est-ce que Mediascop et que faisait-elle pour Mélenchon ?
Mediascop est une agence de communication qui appartient à Sophia Chikirou, une proche de Jean-Luc Mélenchon responsable de la communication du candidat pour la présidentielle. Créée en 2011 avec deux autres personnes, l'entreprise avait déjà œuvré pour le leader de la France insoumise lors de la campagne de 2012. L'année suivante, les deux autres co-créateurs de Mediascop avaient revendu leurs parts à Sophia Chikirou, qui était donc devenue seule propriétaire de la société, à l'époque en difficulté financière. C'est la campagne de 2017 qui relancera la machine.
Les prestations de Mediascop sont nombreuses et diverses : gestion des réseaux sociaux, réalisation de vidéos et de clips de campagne, organisation de réunions publiques, mediatraining, analyse des enquêtes d'opinion ou encore créations graphiques (logos, bandeaux, décors, etc.).
Quel est le problème avec les factures de Mediascop ?
Radio France révèle que Mediascop a émis deux factures à l'attention de l'association de campagne de Jean-Luc Mélenchon pour un montant total de 1,16 millions d'euros. Soit 11% du budget de la campagne présidentielle. Jusqu'ici, tout va bien. Mais ce qui interpelle, c'est le montant facturé pour certaines prestations. Radio France relève ainsi que "l'extraction audio et la publication" de discours "sur le compte soundcloud de Jean-Luc Mélenchon" a coûté 250 euros par discours. À raison de 19 discours, cela donne une facture de 4.750 euros. Pour une opération qui, selon "plusieurs spécialistes" interrogés par Radio France, prend "5 à 10 minutes" à chaque fois.
Autre exemple : le "sous-titrage de vidéos publiées sur le compte Facebook du candidat" a coûté 200 euros par minute. Un tarif très supérieur à ce qui se pratique sur le marché. Les sites spécialisés affichent des tarifs aux alentours de 20 euros la minute. "C'est 25 euros maximum", tranche un ancien travailleur du secteur contacté par Europe 1.
Par ailleurs, Mediascop a aussi refacturé à l'association de campagne des frais "d'administration et de comptabilité". Autrement dit, l'entreprise a fait payer le cabinet d'expertise-comptable qui suit ses comptes par l'association de campagne. "Je n'ai jamais vu ça", s'étonne l'ancien trésorier d'un candidat à la présidentielle auprès de Radio France.
Est-ce illégal ?
La question est plus complexe qu'il y paraît. Il n'en va pas des dépenses de campagne comme des marchés publics, où les appels d'offre et les attributions sont strictement encadrés. Facturer plus cher "n'est pas illégal en soi", nous explique Bruno Dondero, professeur à l'école de droit de la Sorbonne. "La société n'a pas non plus l'obligation de trouver la solution la plus économique pour le client."
En revanche, l'opportunité de rembourser ces frais de campagne est laissée à l'appréciation de la CNCCFP, qui peut refuser de le faire. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé en février dernier. "Après comparaison du coût de chacune des prestations avec la grille tarifaire de cette entreprise [Mediascop], il apparaît que le prix concernant onze [d'entre elles] présente des écarts significatifs avec cette grille", a estimé la CNCCFP. Les comptes de Jean-Luc Mélenchon ont donc été partiellement réformés à hauteur de 35.250 euros pour ce motif. Mais le fait qu'une dépense soit réformée ne signifie pas nécessairement que cela relève d'une fraude.
Si on arrive à démontrer que Jean-Luc Mélenchon ou son entourage étaient au courant de la surfacturation, alors c'est de l'abus de confiance.
Là où cela devient illégal, c'est si ces surfacturations ont été délibérément faites pour tromper la CNCCFP, recevoir un remboursement plus important et mettre de côté l'argent reçu. C'est le soupçon qu'a Jean-Guy de Chalvron, rapporteur à la CNCCFP jusqu'à sa démission fracassante, précisément pour dénoncer les anomalies des comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Sur BFM TV, le haut-fonctionnaire a indiqué que cette surfacturation "aidait vraisemblablement à la constitution d'un réservoir de liquidités à utiliser postérieurement".
"Si on arrive à démontrer que Jean-Luc Mélenchon ou son entourage étaient au courant de la surfacturation et ont tout de même favorisé Mediascop au détriment d'autres prestataires, alors c'est de l'abus de confiance", explique Bruno Dondero. Un délit pénal, caractérisé par le fait d'utiliser des biens (ici, des fonds) dans un autre but que celui donné, passible de 3 ans de prison et 375.000 euros d'amende. Le professeur de droit pointe également le paiement de la comptabilité de Mediascop par l'association de campagne. "Ce sont deux personnes morales distinctes, il n'est pas normal que l'une paie l'expert-comptable de l'autre."
Dans un courrier rendu public en septembre dernier, le parquet de Paris a lui-même estimé que les surfacturations des différents prestataires de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, dont Mediascop, "tendent à faire sérieusement suspecter l'existence de manœuvres délibérées destinées à tromper l'organe de contrôle aux fins d'obtenir des remboursements sans cause".
Que répond la France insoumise ?
La France insoumise et ses élus sont immédiatement montés au créneau pour se défendre. Le principal argument est celui des chiffres : avec des dépenses d'environ 11 millions d'euros, Jean-Luc Mélenchon n'a pas fait la campagne présidentielle la plus dispendieuse. Celle d'Emmanuel Macron sur la même période avait coûté 16 millions, celle de Benoît Hamon 15 millions.
Quatennens sur les comptes de LFI: "La campagne a coûté 11 millions d'euros, elle n'a pas coûté cher. C'est l'une des campagnes les moins onéreuses" pic.twitter.com/M9Mi4Pjyub
— BFMTV (@BFMTV) 19 octobre 2018
Sur BFM TV, le député Adrien Quatennens a notamment justifié le tarif de la publication de vidéos. "Il ne s'agit pas d'un clic", a-t-il souligné. "Quand on publie la vidéo d'un meeting, cela veut dire qu'on analyse le meeting, qu'on regarde les extraits, qu'il y a du montage à faire. C'est un travail qui prend plusieurs heures, vous l'imaginez bien."
L'élu a également mis en parallèle les tarifs pratiqués par Mediascop et ceux de l'agence à laquelle Emmanuel Macron avait fait appel pour des prestations similaires. "Pour un seul clip de campagne d'Emmanuel Macron, cette agence facture 152.000 euros. Mediascop, pour 20 clips, c'est 108.000 euros. Le prestataire Mediascop est tout à fait scrupuleux et a fait un travail remarquable."
Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a donné vendredi après-midi une conférence de presse durant laquelle il est apparu très énervé. "Monsieur Macron s'est lancé dans une offensive politique qui a fait pshittt... Tout cela est ridicule", a-t-il lancé, apportant sa "confiance" pleine et entière à Sophia Chikirou.