La loi Travail à peine repoussée, s’ouvre déjà un nouveau front pour le gouvernement. Qui pourrait être moins simple qu’il n’y paraît. A partir de mardi, les députés examinent le projet de loi de réforme de la procédure pénale, dit de "Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement". Or, comme la loi El-Khomri avant lui, ce texte réussit l’exploit de fédérer une opposition allant de certains élus de gauche à la droite. Les premiers dénoncent des mesures liberticides, la seconde trouve que le texte ne va passez loin et veut en profiter pour revenir sur les années Taubira. Au final, le nouveau ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, va devoir se battre sur tous les fronts.
Quels sont les points polémiques du projet de loi ?
Si certains points de la réforme, tels que les nouveaux moyens donnés aux magistrats pour contrôler les communications des suspects, ou la protection des témoins, font plutôt consensus, d’autres en revanche suscitent la polémique. C’est le cas du principe d’une irresponsabilité pénale pour des membres des forces de l’ordre ayant fait usage de leur arme hors légitime défense, ou des possibilités élargies aux fouilles et perquisitions de nuit. C’est le cas aussi de la possibilité donnée aux policiers, après un contrôle d’identité, de retenir, pendant quatre heures maximum, un suspect pour recueillir de plus amples informations à son sujet. C’est le cas enfin de la possibilité d’assigner à résidence un individu revenu du djihad, même si celui-ci n’est pas mis en examen. Autant de mesures ajoutées après les attentats du 13 novembre.
Une opposition allant de Noël Mamère à Patrick Devedjian
Le gouvernement rêvait d’un texte consensuel, qui aurait fédéré la majorité et aurait même convaincu l’opposition de droite. Mais au sein du groupe socialiste, récemment secoué par le texte de révision constitutionnelle et par la loi Travail, la réforme pénale suscite des critiques de certains frondeurs, notamment pour son article étendant la possibilité pour les forces de l'ordre d'utiliser leur arme hors cas de légitime défense. L’un d’eux, Mathieu Hanotin, élu de Seine-Saint-Denis, veut même profiter de l’occasion pour remettre sur la table la lutte contre le contrôle au faciès via la mise en place d'un récépissé de contrôle d'identité, comme promis par François Hollande en 2012.
Quant à la droite, elle estime que ce texte, sur de nombreux points ne va pas assez loin. "Je défendrai une motion de rejet du texte", a annoncé lundi au Figaro Eric Ciotti, qui sera l’orateur des Républicains sur ce projet de loi. Le député des Alpes-Maritimes fustige notamment le recours renforcé aux réductions de peines, et va jusqu’à réclamer l’interdiction pure et simple des smartphones tant que la possibilité ne sera pas donnée aux autorités de pouvoir consulter les données de l’appareil d’un suspect. Les députés LR ont déposé une grande partie des quelque 500 amendements que les députés seront chargés d’étudier, et de voter.
Moins classique, le texte réussit l’exploit de fédérer contre lui des personnalités aussi diverses que Noël Mamère et Patrick Devedjian. Le député de Gironde, écologiste, comme celui des Hauts-de-Seine, élu LR, s’inquiètent des mesures "liberticides" contenus dans le projet de loi. "François Hollande, tout autant que Nicolas Sarkozy avant lui, joue d'un populisme pénal", a fustigé le 28 février Noël Mamère dans Marianne. "Ce projet de loi est devenu un moyen de faire rentrer l'état d'urgence dans le droit commun", a abondé Patrick Devedjian lundi dans le Figaro. Les deux élus, comme beaucoup d’autres, sont par ailleurs vent debout contre la retenue administrative de quatre heures, présentant un "risque d'arbitraire". La mesure pourrait bien être retoquée dans l'hémicycle.
"Solder le passif" des années Taubira
Les députés Les Républicains comptent aussi bien tout faire pour "solder le passif", selon l’expression du porte-parole du parti Guillaume Larrivé, des années Taubira, l’ancienne ministre de la Justice qui fut pendant quatre ans leur cible favorite. Les élus de l’opposition plaideront donc pêle-mêle pour le rétablissement des peines plancher, pour la suppression de la contrainte pénale, alternative à l’incarcération, et pour un raffermissement des peines pour les récidivistes. Ces amendements n’ont aucune chance d’être adoptés, mais leur rejet sera le prétexte idéal pour que la droite s’oppose en bloc à l’ensemble du projet de loi.
D’ici au 8 mars, date prévue pour le vote solennel à l’Assemblée, Jean-Jacques Urvoas, tout récent garde des Sceaux, va donc devoir s’employer afin que le projet de loi soit adopté selon les termes voulus par le gouvernement. Le gouvernement peut au moins se rassurer sur un point : il n’y a pas de pétition en ligne pour dire "Non, merci" à la réforme de la procédure pénale. Du moins pour l’instant.