C’est une ligne de défense qui n'a pas manqué de surprendre. Au premier jour de son procès, Jérôme Cahuzac, l’ex-ministre du Budget accusé de fraude fiscale et blanchiment d'argent, a affirmé lundi avoir ouvert un compte en Suisse pour financer les ambitions politiques de Michel Rocard en 1992-1993. "Lui n’était pas au courant", a précisé l’ancien maire de Villeneuve-sur-Lot. Dans la foulée, plusieurs voix se sont élevées pour défendre la probité de l’ancien Premier ministre de François Mitterrand, décédé le 2 juillet.
"L'éthique de Michel Rocard." "C'est à lui [Jérôme Cahuzac, ndlr] de s'expliquer. Je suis triste, et je rajouterai peut-être : dégoûté", a déclaré mardi sur RTL Manuel Valls, qui fut le conseiller de Michel Rocard de 1988 à 1991. "Je sais aussi quelle était l'éthique de Michel Rocard et de son entourage", a-t-il ajouté. "Michel Rocard aurait été le seul homme politique sur la place de Paris, à une époque où il n’y avait pas de lois tout à fait nettes sur le financement des partis, à ne pas avoir besoin d’argent pour ses campagnes électorales ?", a cependant relevé au micro d'Europe 1 Jean-Luc Barré, un proche de l’ex-ministre du Budget et l’auteur de Dissimulations. La Véritable Affaire Cahuzac. Pour lui, "le fond de l’affaire [Cahuzac], c’est : qu’est-ce que savait sa famille politique de l’existence de ce compte, du plus haut de l’exécutif jusqu’à sa famille originelle qui sont les rocardiens ?"
Ces révélations, avérées ou non, rappellent en tous cas le long parcours pour la transparence des comptes des partis. Un parcours dont Michel Rocard, précisément, fut partie prenante au début des années 1990. Une évolution lente, marquée par de nombreux scandales, dont le dernier en date pourrait bien être lié aux déclarations fracassantes de Jérôme Cahuzac devant ses juges.
Une première loi en 1988. Il a fallu attendre 1988 avant que la législation ne commence à fixer le financement des partis et des campagnes électorales, jusque-là supposés s’appuyer sur les cotisations des militants, sans encadrement particulier. Un flou juridique qui ouvrait la voie aux abus de biens sociaux. Au lendemain de l’affaire Luchaire - du nom d’une société d’armement soupçonnée d’avoir illégalement participé au financement du PS - une première loi est votée le 11 mars 1988. Elle institue le principe d’un financement public des partis politiques représentés au Parlement et le plafonnement des dépenses électorales pour les législatives et les présidentielles.
Le séisme Urba. Dans la foulée, l’affaire Urba, sur un financement occulte du PS, révèle l’ampleur des pratiques clandestines à l’œuvre dans la vie politique française. Créée en 1971, la société Urba gère la facturation de prestations fictives contre l’attribution de marchés publics dans les villes aux mains des socialistes, l’argent étant reversé dans les caisses du parti. Les investigations, qui ont débuté dès 1987 avec une perquisition au siège marseillais de la société, font trembler jusque dans les couloirs de l’Elysée.
Loi d'amnistie. Le 15 janvier 1990, la loi "Rocard" veut remettre les choses à plat : elle étend le plafonnement des campagnes à toutes les élections et ouvre le financement public aux partis non représentés au Parlement. Elle leur permet de bénéficier de financements privés dans la limite d'un plafond et crée une Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Néanmoins, en amnistiant les responsables d’infractions commises avant juin 1989, le gouvernement s’attire les foudres de l’opposition et donne l’impression de vouloir sauver in extremis de nombreux responsables.
"Le Far West". Pour autant, le travail de la justice se poursuit. "J’avais une opinion à soumettre au Premier ministre : 'il faut dire au procureur, allez-y, ouvrez ! C’était le Far West, et bien découvrez le Far West ! Et dites-nous ce que vous allez faire'. Le Premier ministre était assez tenté… ", raconte Henri Nallet, nommé en octobre 1990 au ministère de la Justice, dans le documentaire La parole est au garde des Sceaux. Finalement, Michel Rocard aurait reculé devant la pression des barons du parti. "Il m’a dit : ‘il faut arrêter. Il faut essayer d’expliquer aux magistrats que l’on va réguler tout ça, mettre de l’ordre, mais que pour l’instant, ce n’est pas la peine de mettre en examen trente ou quarante dirigeants politiques’", poursuit Henri Nallet.
La fin des dons de personnes morales. Conséquence de l'affaire Urba, la loi Sapin 1, en 1993, tente d’interdire les dons de personnes morales, mais le Parlement rejette la mesure et se contente d'en revoir le plafonnement. C’est d’ailleurs à cette époque que Jérôme Cahuzac aurait approché plusieurs géants pharmaceutiques pour trouver des fonds à l’intention de Michel Rocard. "Jérôme Cahuzac fait partie de son équipe rapprochée, est très en relation avec les laboratoires pharmaceutiques qui sont des pourvoyeurs de partis politiques", raconte Jean-Luc Barré, toujours au micro d’Europe 1. "Il organise pour Michel Rocard des visites auprès de magnats de l’industrie pharmaceutique dont Pierre Fabre".
À l’automne 1994, la démission obligée de trois ministres du gouvernement de cohabitation d’Edouard Balladur (Alain Carignon, Michel Roussin et Gérard Longuet), mis en cause dans des affaires politico-financières, pousse finalement les élus à interdire définitivement les dons de personnes morales. En compensation, le remboursement par l'Etat des dépenses de campagne est augmenté jusqu'à 50% du plafond de dépenses, pour les partis ayant au moins 5% des suffrages.
L'effet Cahuzac. Les dernières mesures prises sont consécutives au scandale Cahuzac. Les lois du 11 octobre 2013 sur la transparence de la vie publique font obligation aux parlementaires, élus locaux et hauts fonctionnaires de remplir deux déclarations, la première sur leur patrimoine, l'autre d'intérêts, transmises à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique qui est chargée d’en contrôler la véracité.