Coup de théâtre au premier jour du procès Cahuzac. Jugé depuis lundi, l'ex-ministre du Budget a expliqué que son premier compte ouvert en Suisse en 1992 était destiné "au financement d'activités politiques" au profit de l'ex-Premier ministre socialiste Michel Rocard, dont il était un fervent soutien. A l'époque, plusieurs scandales politico-financiers éclatent car le financement des partis politiques est encore très occulte. Les premiers lois apparaissent alors.
"Le financement des partis par les laboratoires pharmaceutiques, un grand classique". Jusque dans les années 1980, il n'y avait aucun contrôle sur l'argent de la politique. A partir des années 1990, les premières tentatives de réglementation apparaissent, avec notamment une loi portée par Michel Rocard, mais elles n'empêchent pas les vieilles pratiques de perdurer. Ce sont notamment des échanges de bons procédés avec les entreprises où l'on accorde des marchés publics contre des commissions. "Le financement de la politique par les laboratoires pharmaceutiques est un grand classique", explique Olivier Duhamel, éditoraliste chez Europe 1. "Quasiment chaque parti important avait quelqu'un préposé à aller chercher l'argent".
Selon lui, "lorsque l'on accordait à un supermarché de s'installer dans telle ville, un pourcentage du marché était pour le parti ou pour la campagne du maire". Un système qui a longtemps perduré avant "les premières lois de 1988" et celles qui suivront : "si on ne voulait pas respecter la loi et par exemple donner plus d'argent, on était obligé de faire des détours et des systèmes occultes". Pour Olivier Duhamel, "les hommes politiques ont mis très longtemps à comprendre que le monde nouveau est un monde dans lequel on ne peut plus faire ce qu'on veut avec l'argent".
La Suisse assurait un secret bancaire total. Les juges commencent ensuite à s'en mêler. C'est notamment le cas dans l'affaire Urba, un système occulte qui alimentait les fonds de campagnes du Parti socialiste depuis 1973 et qui mènera à la condamnation du trésorier Henri Emmanuelli. En 1990, le financement des partis politiques par les entreprises est plafonné mais le grand jeu consiste bel et bien à échapper à ces contrôles.
L'un des premiers magistrats à avoir enquêté sur ces affaires décrypte le le fonctionnement. Selon ce dernier, qui a souhaité rester anonyme, les comptes à l'étranger étaient multipliés, notamment en Suisse, et non pour des raisons fiscales mais pour s'assurer une totale discrétion. Ainsi, lorsqu'on offrait à une entreprise un marché public, on lui demandait de verser 5% du contrat sur un compte à l'étranger. Un simple virement qui ne prenait quelques minutes alors qu'il faudra des années à un juge pour retracer le parcours de l'argent. Cet argent revenait ensuite en cash alimenter les dépenses de campagne. En conséquence, le même compte en Suisse, d'une seule entreprise, a même pu servir à financer plusieurs partis, les industriels jouant sur tous les tableaux.
La loi se durcit progressivement. Ce n'est qu'en 1995 que le financement des partis politiques par les entreprises est devenu totalement interdit. En contrepartie, l'Etat accorde alors un financement public aux campagnes électorales, avec des dépenses plafonnées et contrôlées. Même si cela n'a pas empêché d'autres dérapages depuis.