La majorité a décidément bien du mal à sortir de la nasse qu’elle a elle-même créée avec sa réforme de l’ISF. En ne conservant que les biens immobiliers dans le champ du nouvel impôt, le gouvernement a ouvert une brèche sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler les "produits ostentatoires de richesse". A savoir les yachts, lingots d’or et autres voiture de luxe, qui ne seront plus pris en compte, mais qu’il est pourtant difficile d’envisager comme participant à l’investissement dans les entreprises. Or, il s’agit précisément de l’objectif premier de la refonte de l’ISF. Et cette polémique pourrait en fait cacher un mal plus profond au sein de la majorité.
Un mal plus profond ?
Car si le gouvernement martèle l’argument de l’investissement dans les entreprises, le discours peut parfois être différent. Dans son programme de campagne, Emmanuel Macron regrettait ainsi que l’ISF "persist(ait) en France et condui(sai)t des centaines de contribuables à s’expatrier chaque année". En clair, l’impôt était critiqué non pas parce qu’il décourageait l’investissement mais parce qu’il faisait fuir les plus riches.
Et ce n’est rien d’autre que disait Edouard Philippe jeudi sur France 2. "Vous avez parlé des yachts, des jets, vous auriez pu parler des montres, des bijoux… Je l'assume", avait asséné le Premier ministre. "Notre objectif, c'est de faire en sorte que le capital reste en France, et même d'attirer des gens, y compris des gens riches, en France."
" La théorie du ruissellement, c'est une stupidité "
Cette philosophie semble mener tout droit à la si controversée "théorie du ruissellement", selon laquelle plus les riches sont riches, plus les pauvres en récoltent les fruits. "C’est une stupidité ! Personne ne peut se référer à cette théorie mise en défaut partout où elle a été appliquée", réagit l’économiste Jean-Paul Fitoussi, joint par europe1.fr. L’homme avait signé pendant la campagne présidentielle une pétition avec 39 de ses confrères pour soutenir l’actuel chef de l’Etat. Et il peine à masquer sa déception. "Je ne suis pas du tout en accord avec la réforme fiscale. Il l’avait annoncée, mais j’avais compris des points de son programme qui n’ont pas été mis en œuvre", explique ce professeur à Sciences-Po, évoquant "le volet protection" des salariés.
"J’attends ce volet protection avec impatience". Concernant les "produits ostentatoires de richesse", comme les a appelés Gérald Darmanin dimanche sur BFMTV, Jean-Paul Fitoussi est clair. "Bien sûr qu’il faut les taxer. En réalité, je ne comprends pas l’intérêt de conserver l’ISF si on supprime tout ça. Si on ne conserve que l’immobilier, ça ne concerne en gros que la classe moyenne haute", estime l’économiste. Maintenant, j’attends ce volet protection avec impatience. Je garde l’espérance qu’Emmanuel Macron en parle enfin, et qu’il le fasse. Peut-être que c’est à venir", veut encore croire l’universitaire. Qui s’adresse aux membres de la majorité échaudés : "je leur conseille d’attendre, de ne pas lâcher encore. De garder leurs nerfs et de penser que le meilleur est à venir.
Ça grince dans la majorité
L’aile gauche de la majorité, pourtant, grince déjà. Et c’est même François Bayrou, pas suspecté d’être un dangereux gauchiste, qui est monté au créneau lundi. "Il me semble que le texte est déséquilibré. Et ceci n'est pas juste", a estimé le président du MoDem sur Europe 1, rappelant au passage son statut d’allié du chef de l’Etat lors de la présidentielle. "Il faut retrouver la logique qu'Emmanuel Macron a défendue devant les Français et dont je sais qu'il y était attaché puisque nous avons fait la campagne ensemble. Cette réorientation nécessaire et je suis certain que l’Assemblée nationale peut le faire", a-t-il lancé.
"Ce n’est pas possible". François Bayrou a ainsi rejoint d’autres membres de la majorité qui ont fait entendre leur embarras, sinon leur gêne, face au sujet. "Ce n'est pas possible! Des symboles de ce genre doivent être beaucoup plus taxés", avait ainsi tonné vendredi Joël Giraud, rapporteur du budget, venu du Parti radical de gauche. Il a été rejoint dimanche par François de Rugy, président de l’Assemblée nationale.
Pas question de réélargir l’ISF. Sans doute conscient des risques politiques, Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont tous deux ouvert la porte dimanche à des ajustements, qui permettraient in fine de taxer les biens de grand luxe. Avec une réserve : il ne s’agirait pas de les réintégrer dans le calcul de l’ISF, mais de durcir des taxes déjà existantes. "Un véhicule à grosse cylindrée, on peut durcir le malus sur la pollution. Je suis également prêt à envisager une nouvelle tranche pour la taxe de francisation, en fonction de la taille du bateau", a ainsi glissé Bruno Le Marie sur LCI.