La lettre envoyée lundi par Emmanuel Macron aux Français pour lancer le "grand débat" comporte 35 questions, mais certaines d’entre elles sont nettement plus commentées que les autres. C’est le cas de l’une des trois qui concernent l’immigration. "En (la) matière, une fois nos obligations d'asile remplies, souhaitez-vous que nous puissions nous fixer des objectifs annuels définis par le Parlement ?", interroge le président de la République. Le mot de "quotas" est certes soigneusement évité par le chef de l'Etat, mais c’est bien lui qui a surgi dans l’esprit des observateurs comme des politiques. L’évolution est notable, car pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait refusé d’inscrire la mesure dans son programme.
Dans les programmes de Fillon, Dupont-Aignan et Le Pen
Lors de la présidentielle 2017, seuls trois candidats avaient en fait évoqué de près ou de loin des quotas d’immigration, tous classés à droite, voire très à droite. François Fillon, des Républicains, entendait ainsi, s’il avait été élu, inscrire dans la Constitution le principe de quotas fixés par la loi pour plafonner le nombre de titres de séjour pouvant être délivrés chaque année, en fonction des capacités d’accueil du pays. Pas de quotas pour Nicolas Dupont-Aignan, mais pour lui aussi un plafond, fixé chaque année par le Parlement. Enfin Marine Le Pen proposait de réduire le solde annuel de l’immigration à 10.000. Sans elle non plus prononcer le terme de quotas.
Sur le sujet, les Républicains version Laurent Wauquiez n’ont pas changé d’avis, puisque la mesure figure toujours dans la liste de leurs propositions. Comme le rappelle LCI, la droite sénatoriale avait d’ailleurs tenté en juin dernier de réintroduire le principe des quotas dans la loi. "L'introduction de quotas [...] ne résiste pas à un examen de sa faisabilité. Le gouvernement est défavorable à une telle politique", avait martelé Jacqueline Gourault, alors ministre auprès du ministre de l’Intérieur chargée de la Cohésion des territoires.
Les associations et l’opposition vent debout
C’est peu de dire que certaines associations ont peu goûté ce revirement de la part de l’exécutif. "C’est bien, on avance", a ainsi ironisé Pierre Henry, directeur de France Terre d’asile, sur Twitter. "La commission Mazeaud répondait inapproprié, anticonstitutionnel, anti-conventionnel. On recommence les enflamma(des) sur un sujet hors sujet ?"
C’est bien : on avance avec le grand débat . Il y a dix ans SARKOZY posait la question des quotas . La commission Mazeaud répondait inapproprié - anticonstitutionnel. Anti conventionnel . On recommence les enflamma dés sur un sujet hors sujet ?
— Pierre Henry (@pierrehenry75) 14 janvier 2019
Même virulence du côté de SOS Racisme. "La lettre d’Emmanuel Macron intègre comme nous le craignions la thématique de l’immigration, en laissant lourdement sous-entendre que nous accueillons trop d’immigrés et que ces derniers et leurs enfants n’étaient pas suffisamment intégrés", écrit l’association dans un communiqué. "Propos graves et irresponsables qui sonnent comme une diversion nauséabonde".
#LettreAuxFrançais#GrandDebatNational : @SOS_Racisme n’accepte pas que les immigrés et leurs enfants soient les boucs émissaires que le pouvoir a choisis pour détourner l’attention de sa politique fiscale injuste. pic.twitter.com/eWIN7BWQDE
— SOS Racisme (@SOS_Racisme) 13 janvier 2019
Sans surprise, les oppositions ont elles aussi fait part de leur indignation. A gauche, le député PS Luc Carvounas a ainsi estimé que le chef de l'Etat posait avec cette question celle de "l'identité nationale sans vouloir le dire", et "court derrière les vieilles lunes de l'extrême droite" alors qu'approchent les élections européennes. "Les Français ne veulent pas de quotas, les Français veulent qu'on mette fin à la politique migratoire", a pour sa part estimé Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national aux européennes, sur BFMTV.
La majorité assume… ou presque
La majorité, elle, assume. "On n'a pas prononcé le mot de quotas", s'est d’abord défendu Gilles Le Gendre sur franceinfo, le patron des députés LREM ajoutant toutefois qu’il n’y a "pas de tabou là-dessus". "Voilà des années que la question de l'immigration empoisonne le débat public français car on refuse de le traiter autrement que de manière simpliste et démagogique". Or "le grand débat donne l'occasion d'aborder les questions différemment en donnant sur ce sujet aussi la parole aux Français, ce qui produira forcément des choses intéressantes. Nous verrons si nous mettons en place des quotas", a conclu l’élu de Paris, lâchant le mot qui fâche.
De son côté, le député LREM Aurélien Taché, spécialiste des questions d’accueil, s’est montré quelque peu embarrassé. Il s'est félicité que l'immigration soit incluse dans la partie "citoyenneté", mais a également affirmé que "le droit d'asile est un droit fondamental, il n'y aura jamais de quotas là-dessus", ni sur "l'immigration familiale". Reste alors l'immigration économique. Sur le sujet, il a renvoyé la balle à… l’Europe : "pourquoi ne pas demander au niveau européen de quoi et de qui on a besoin pour construire l'Europe de demain, même si ça fait plus" de personnes accueillies au final, a-t-il suggéré.