Mairies : crèches de Noël, en avoir ou pas

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L’Association des maires de France a préconisé de se passer de crèche dans les mairies. Des élus de droite et du FN s’insurgent, alors que le flou juridique persiste. 

Noël approche, et avec lui ses décorations, ses sapins, ses cadeaux et… sa polémique sur l’installation des crèches dans les lieux publics. En décembre 2014, l’installation puis l’interdiction de plusieurs de ses représentations de la naissance de Jésus, dans des mairies notamment, avaient occupé l’espace médiatique pendant plusieurs semaines. Cette année, c’est l’Association des maires de France (AMF) qui, en toute discrétion, a allumé la mèche le 18 novembre en publiant un texte sur la laïcité.

"Pas compatible avec la laïcité". Tout est donc parti de ce vade-mecum sur la laïcité, dont la rédaction avait été décidée en novembre 2014 et accélérée après les attentats de janvier à Paris. Le document, produit donc après un an de travail, fait 36 pages, mais c’est un petit paragraphe, situé p. 16 et portant sur "la neutralité des bâtiments publics", qui a surtout retenu l’attention. L’instance représentative des maires de France y "réaffirme la nécessité d’appliquer la règle définie à l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 (celle, ô combien célèbre, portant sur la séparation des Eglises et de l’Etat, ndlr) qui proscrit ‘tout signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit’". L’AMF conclut : "la présence de crèches de Noël dans l’enceinte des mairies n’est pas compatible avec la laïcité." La (petite) bombe est lâchée.

Estrosi et Chatel sur la même ligne. Attentats oblige, il faut plusieurs jours pour que les politiques réagissent. Et c’est Christian Estrosi, engagé dans les élections régionales en Paca, qui s’y est collé le premier lundi soir. Le député-maire Les Républicains de Nice défend dans un communiqué "les traditions populaires de nos régions notamment lorsqu'il s'agit d'accueillir des crèches dans les espaces publics. Cette tradition comme tant d'autres, est immémoriale et appartient au patrimoine des Français, quelles que soient leurs confessions, au même titre que la peinture, la musique ou la sculpture inspirées par la Bible", écrit-il dans un communiqué. Une position qu’il avait déjà affirmée dimanche soir sur LCI :

La sortie d’un candidat, Christian Estrosi, soucieux de faire feu de tout bois à l’approche des élections ? Que nenni. Car Luc Chatel, qui ne brigue rien pour les régionales de décembre, est sur la même ligne. "J’ai été un peu surpris. Je ne comprends pas très bien", a réagi le maire de Chaumont, membre du Butreau politique des Républicains, mardi matin sur iTélé. "Nous parlons de valeurs, nous parlons de racines, nous parlons de références. L’Europe, la France, a des racines chrétiennes. Je vais vous faire une confidence : à la mairie de Chaumont, la personne qui chaque année installe la crèche de Noël n’est pas catholique, n’est pas croyante. J’ai du mal à comprendre qu’on veuille imposer une loi qui aille en sens inverse. Surtout en ce moment", a-t-il conclu.

(A partir de 15’08’’)


L'invité de Bruce Toussaint du 24/11/2015par ITELE

D’autres députés Les Républicains ont choisi Twitter pour réagir :

A Béziers, une crèche dans le hall de la mairie. Evidemment, le Front national n’est pas en reste.  Ainsi Florina Philippot qui, interrogé sur les prêches en arabe dans les mosquées, dont l’interdiction paraît difficile juridiquement, parvient à faire le parallèle. "C'est tout à fait étonnant parce que pour ces responsables de l'UMP ou du PS, on ne peut jamais rien faire. Par contre quand monsieur Baroin de l'association des maires de France, maire UMP (sic) de Troyes, nous dit qu'il faut interdire les crèches dans les mairies, là on peut le faire", a lâché le vice-président du FN sur RFI. Quant à Robert Ménard, qui avait médiatisé à outrance la crèche dans sa mairie de Béziers en décembre 2014, il a fort opportunément publié un communiqué lundi. "On ne présente plus la crèche de Béziers ! En décembre 2014, elle fut sous les feux des projecteurs et des flashs. Elle revient pour le plus grand plaisir des petits et des (grands) enfants ! Robert Ménard dévoilera la crèche de Noël le vendredi 27 novembre à̀ 17h30 dans le hall de l'hôtel de ville à Béziers." Tout y est.

Gilbert Collard, député apparenté FN, y est allé de son tweet :

"Instabilité jurisprudentielle". De son côté, l’AMF se défend de toute volonté de nuire ou de toute maladresse, et plaide au contraire l’interprétation erronée, voire fallacieuse. "L’émotion est la pire ennemie de la réflexion. J’appelle à ce que chacun voit le véritable esprit du texte, qui n’est pas un oukase, pas un diktat, mais une synthèse de longs débat et de nombreuses auditions", tempère Agnès Le Brun, vice-présidente de l’AMF, membre des Républicains, jointe par Europe 1.fr. "La position de l’AMF, c’est : ‘adoptons la neutralité, soyons prudents, pour ne pas être attaquable juridiquement. Il ne s’agit pas d’une position laïcarde ou laïciste, mais d’un constat d’une jurisprudence discordante et d’une clarification législative inexistante."

En effet, sur le sujet, la justice a bien du mal à parler d’une seule voix. Le vendredi 16 octobre, la cour administrative d’appel de Paris a ainsi ordonné à la ville de Melun de ne pas installer de crèche cette année, au motif qu’un emblème religieux n’a pas sa place dans l’enceinte d’un bâtiment public. Trois jours plus tôt pourtant, la cour administrative de Nantes avait rendu un avis contraire concernant l’installation d’une crèche au conseil général de Vendée, car elle ne représentait pas de signe ou d’emblème religieux. A y perdre son latin.

"Si on a de la prudence pour tout…" Directement concerné, Gérard Millet, le maire de Melun, compte désormais sur le Conseil d’Etat, vers qui il s’est tourné, pour clarifier les choses. Mais il regrette la frilosité de l’AMF.  "Ce texte contribue à maintenir la confusion, il ne clarifie pas les choses sur le fond. Si on a de la prudence sur tout, on ne fait plus rien", regrette l’élu, qui assure qu’il respectera la dernière décision de justice en date. "Je n’installerai pas la crèche, mais je laisserai un emplacement vide avec les deux arrêts de cour d’appel contradictoire et cette question : la loi de 1905 est-elle une loi de tolérance ou une loi sectaire ?’ Car là, c’est le flou le plus complet."

Cazeneuve sollicité. C’est bien ce flou juridique que l’AMF pointe en fait. Du coup, l’instance "a interpellé le ministre en charge de l’Intérieur sur l’hétérogénéité actuelle des jurisprudences. Une clarification législative lui semble souhaitable", écrit-elle dans son vade-mecum. Mais comme Bernard Cazeneuve a sans doute d’autres priorités en ce moment, gageons que la polémique sur les crèches a de beaux jours devant elle.