"J'ai l'impression de gravir la montagne à mains nues pendant que d'autres sont dans un ascenseur climatisé." Pour décrire sa chasse aux 500 parrainages d'élus qui lui permettront de valider sa candidature à la présidentielle de 2017, Rama Yade emprunte ses mots à Bernie Sanders. Sans parti, sans militants, sans financements, l'ancienne secrétaire d'État chargée des Droits de l'Homme est obligée de redoubler d'énergie pour recueillir les indispensables signatures.
70.000 kilomètres en voiture. "De mairies en mairies", à bord de sa "petite auto" avec laquelle elle a fait plus de 70.000 kilomètres depuis avril 2016, la candidate, accompagnée d'un collaborateur, a "dû parler ou rencontrer 3.000 maires" au total. Pour maximiser ses chances, elle a surtout misé sur ceux qui n'étaient encartés nulle part, les indépendants pour lesquels il est plus facile de soutenir une personnalité lancée dans l'aventure en solitaire. Ce "travail quotidien", éreintant, finit par payer : aujourd'hui, Rama Yade revendique 350 promesses de parrainages, principalement d'élus ruraux. "C'est difficile, c'est vrai. Mais c'est tellement exaltant", témoigne-t-elle. "Et finalement, quand demain j'aurai mes parrainages, je l'aurai mérité."
Cibler les maires de petites communes. À l'instar de Rama Yade, nombreux sont les petits candidats qui doivent déployer des trésors d'imagination et de stratégie pour recueillir les précieux sésames. Il ne leur reste plus que deux mois, jusqu'au 17 mars prochain, pour les déposer auprès du Conseil constitutionnel. Du côté de Yannick Jadot, on a sorti la calculette. Europe Ecologie-Les Verts peut fournir 200 parrainages au candidat écologiste. Il en reste donc 400 potentiels à trouver pour être un peu large. "Cela paraît beaucoup", analyse Alexis Braud, directeur de campagne de Yannick Jadot. "Mais en fait cela revient à quatre par départements." Ce qui paraît non seulement plus concret, mais aussi plus faisable. "On a un coordinateur par département qui mobilise les militants." Aux militants, ensuite, de cibler les élus qui pourraient potentiellement soutenir le candidat écologiste. "Ce sont plutôt des maires de petites communes. On vise les gens qui ne sont pas très investis dans les appareils politiques", détaille Alexis Braud.
" On vise les maires de petites communes, les gens qui ne sont pas très investis dans les appareils politiques "
Le candidat EELV a au moins un avantage : même si son parti a perdu beaucoup d'élus lors des derniers scrutins locaux, ces retraités contre leur gré "connaissent beaucoup de maires. Ils savent lesquels sont sensibles [au programme de Yannick Jadot], ils ont travaillé avec certains d'entre eux", avance Alexis Braud. Et se révèlent donc très utiles pour jouer le rôle d'intermédiaire. Aujourd'hui, Yannick Jadot a récolté 300 promesses de parrainages grâce ces connexions.
Coûts logistiques. Chez Nicolas Dupont-Aignan, on refuse de donner un chiffre. Mais "on les aura", assure Laurent Jacobelli, le porte-parole du candidat de Debout la France. "Encore un petit effort." La stratégie est ici traditionnelle : une petite dizaine de personnes, au siège du parti, consacrent l'intégralité de leur temps à appeler les élus, leur envoyer des mails ou des courriers avec le programme du candidat et une enveloppe retour pour le parrainage. Avec le coût que cela implique : environ 250.000 euros, soit près d'un quart du budget de campagne, rien que pour l'édition de plaquettes explicatives. Les bénévoles eux, ne sont pas défrayés.
La primaire de la gauche retarde le processus. Si la chasse aux parrainages a toujours été un obstacle pour les petits candidats, deux difficultés supplémentaires sont venues s'ajouter pour 2017. D'abord, l'organisation de primaires. Celle de la gauche, qui se tient très tard, retarde le processus pour beaucoup. Les états-majors des candidats qui misent sur les signatures d'élus de gauche ont constaté un attentisme de leur part. Ils préfèrent savoir quel candidat va sortir du chapeau avant de sortir les stylos. Combien de fois l'entourage d'Emmanuel Macron a-t-il ainsi entendu qu'"Arnaud est un vieux copain, je ne peux pas lui faire ça", ou que "Manuel est un compagnon de route" ? Cela n'empêche pas le fondateur d'En Marche! d'avoir recueilli 400 promesses de parrainages avant Noël. "On est sereins, mais il ne faudra pas s'endormir sur ces promesses", avertit Sylvain Fort, son conseiller en communication.
Sous-médiatisation. Sans compter que cette primaire accentue encore la sous-médiatisation des Philippe Poutou et Nathalie Artaud. "Il y a eu trois mois avec la droite, maintenant c'est avec le PS", s'agace le premier. "Cela absorbe une bonne part de l'espace politique dans les médias." Un "sérieux handicap" pour le candidat du NPA. "Les élus, s'ils voient un candidat passer dans les médias, cela aide pour le parrainer. Cela donne un peu de crédibilité et cela montre qu'on est campagne." Résultat, par rapport à il y a cinq ans, Philippe Poutou estime avoir pris du retard. "On est à 50-60 parrainages de moins [qu'en 2012], sous la barre des 200" promesses. Le successeur d'Olivier Besancenot a lancé lundi un appel aux élus et aux médias, au nom du respect de la "démocratie".
" On est sereins, mais il ne faudra pas s'endormir sur les promesses de parrainages "
"Sécuriser" les parrainages. Seconde difficulté pour les candidats : le changement des règles pour cette présidentielle. Avant, c'étaient à eux de déposer les signatures auprès du Conseil constitutionnel. Désormais, les parrains doivent se charger d'envoyer leur courrier directement. Ce qui laisse planer le risque d'oubli ou d'erreur, notamment sur l'orthographe du nom du candidat. Les équipes anticipent déjà et ont prévu de repasser des coups de fil, voire de refaire des tournées régionales avec les parrains potentiels pour "sécuriser" les parrainages. Dans certains cas, des militants auront même la charge d'aller aider les élus à remplir leur papier.
Enfin, le fait que les noms soient rendus publics au fur et à mesure ne simplifie pas la tâche de certains. Chez Nicolas Dupont-Aignan comme chez Rama Yade, on dénonce une pression des grands partis sur leurs élus. Pression qui peut aller, selon l'entourage de l'ancienne secrétaire d'État, jusqu'à un chantage aux subventions ou à l'investiture aux prochaines législatives.