Une semaine auparavant, il affirmait encore haut et fort ne "pas douter un seul instant" de l'adoption du texte en conseil des ministres. Droit dans ses bottes, Manuel Valls a pourtant dû faire un pas en arrière, lundi, et reporter la présentation du projet de loi El Khomri du 9 au 24 mars. Une reculade périlleuse en termes d'image mais toujours moins risquée qu'un acharnement.
A deux doigts de la catastrophe. De fait, selon nos informations, Matignon et l'Elysée sont passés à deux doigts de la catastrophe absolue. Plusieurs ministres, et pas des moindres, avaient prévu de s'exprimer cette semaine dans la presse contre le projet de loi El Khomri. Le gouvernement, pourtant formé depuis peu, était menacé d'implosion. Sans compter que s'il avait persisté, l'exécutif aurait dû affronter mardi une reprise mouvementée à l'Assemblée nationale, entre une réunion de groupe houleuse, des frondeurs furieux, des aubrystes prêts à claquer la porte et un festival de violence verbale au moment des questions au gouvernement.
Un week-end mouvementé. Autant de raisons de changer de stratégie et de miser sur la pédagogie. La décision du report du projet de loi a été prise au terme d'une longue discussion entre François Hollande et Manuel Valls. Tout le week-end, les deux hommes ont échangé par téléphone. Samedi après-midi, la virée catastrophique du président au Salon de l'Agriculture a accéléré les choses. Le chef de l'Etat, "marqué par ce qu'il vient de vivre au Salon", cherche une solution. Il retrouve Manuel Valls à l'Elysée dimanche soir. C'est à ce moment-là qu'ensemble, ils optent pour un délai de quinze jours.
La leçon du CPE. Pour expliquer ce revirement, il faut aussi revenir dix ans en arrière. En mars 2006, un an et un mois avant la présidentielle de 2007, le Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, s'était lancé dans la bataille pour créer le contrat première embauche (CPE). La suite est connue de tous. D'importantes manifestations ont paralysé tout le pays, les facs et les lycées ont été bloqués, les syndicats ont embrayé. Dominique de Villepin a été contraint de voir sa loi, pourtant votée et promulguée, suspendue en pratique par le président, Jacques Chirac. Au-delà de l'humiliation totale, les ambitions présidentielles du chef du gouvernement ont été atomisées.
Cette histoire-là, François Hollande la connaît par cœur. En reculant sur la loi El Khomri, le président pensait aussi à sauvegarder les chances qui lui restent pour la présidentielle.