Une ex-UMP surendettée, un Front national à la recherche d'argent frais, des écologistes qui s'apprêtent à mettre en vente leur siège parisien... A l'heure où les difficultés financières se multiplient pour les partis politiques, aucun secours n'est à attendre des banques, qui leur ont quasiment coupé les vivres. Selon les informations d'Europe 1, la plupart des établissements bancaires français refusent aujourd'hui de prêter aux partis et aux candidats. Une tendance récente liée à la fois aux affaires politico-financières, mais aussi à la dégradation de l'image du monde politique.
Le sujet a été évoqué le 2 juin entre les murs de l'Assemblée nationale. Réunis à l'occasion d'une audition sur le financement de la vie politique, les trésoriers des différents partis ont tous fait part de leurs difficultés à se voir accorder des prêts. "Le sujet a été abordé, notamment par les représentants des petits partis", raconte un participant. "Nous avons tous les mêmes problèmes, à différentes échelles", abonde un autre.
Seul le FN avait décliné l'invitation, bien qu'il soit le premier concerné. "Nous n'arrivons plus à financer nos campagnes", se lamente Wallerand de Saint-Just, le trésorier frontiste, contacté par Europe 1. Le parti de Marine Le Pen, qui a grand besoin d'argent frais, est en première ligne sur le sujet. Il cherche dix millions d'euros au bas mot en vue des élections régionales de décembre. Pour financer les départementales de mars dernier, le FN avait emprunté neuf millions d'euros à une banque russe en septembre 2014. Contraint et forcé, assure-t-il, par la frilosité des banques françaises. "C'est de la rigolade. Ils ont juste de meilleures conditions financières en Russie", persifle un détracteur. En décembre, le FN a pourtant publié les lettres de refus des établissements français. La plupart invoquaient un impératif de neutralité qui leur interdirait de prêter aux partis politiques.
Cela n'a pourtant pas toujours été le cas. La Société générale a ainsi prêté quatre millions d'euros au FN avant la présidentielle de 2012. Mais depuis, la doctrine a changé. "Nous ne prêtons plus aux partis politiques", déclarait en décembre sur France Inter le PDG de la Société générale, Frédéric Oudéa. Plusieurs autres grandes banques ont adopté la même position. Selon nos informations, le groupe Crédit Mutuel-CIC, LCL ou encore la britannique HSBC ne veulent pas prêter aux partis. BNP Paribas a refusé un emprunt au FN au motif qu'elle ne peut "répondre favorablement à une telle demande en faveur d'un parti politique", selon les termes de son courrier officiel. La banque assure pourtant à Europe 1 qu'elle "traite les partis politiques comme n'importe quel client", sans vouloir commenter le refus opposé au FN. Le Crédit agricole et Banque populaire, qui regroupent plusieurs banques régionales, laissent leurs caisses affiliées libres de leurs décisions.
De mauvais augure en vue des prochaines campagnes, alors que l'enveloppe que l'Etat alloue chaque année aux partis a diminué de 10% fin 2013, rigueur oblige. Même si, à l'heure actuelle, ni Les Républicains ni le Parti socialiste n'envisagent d'emprunter. Endetté à hauteur de 69 millions d'euros, le parti de Nicolas Sarkozy doit d'abord éponger sa lourde ardoise. "Nous avons une feuille de route fixée avec un pool bancaire et nous la tenons", assure le député Daniel Fasquelle, trésorier du parti. "Nous ne sommes pas dans une perspective d'emprunt".
Quant au PS, il peut compter sur de solides rentrées d'argent, puisqu'il a remporté les législatives de 2012, scrutin qui détermine l'attribution de l'aide publique. "Nous n'avons aucune raison d'emprunter pour l'instant. Il nous reste simplement quatre millions d'euros à rembourser sur notre dernier emprunt, qui remonte à 2012", explique Jean-François Debat, le trésorier du PS. A quelles banques ? "Je ne suis pas persuadé qu'elles apprécieraient que je les cite...", s'excuse-t-il.
"Quelques banques ne veulent pas travailler avec les partis, mais les autres nous traitent comme tout le monde", assure toutefois le M. Finances du PS. "En réalité, c'est surtout pour les candidats individuels que c'est difficile. Ma propre banque ne m'a jamais prêté un euro pour une campagne", regrette celui qui est également maire de Bourg-en-Bresse, dans l'Ain. La trésorière d'Europe Ecologie-Les Verts, Marie-Pierre Bresson, est elle aussi préoccupée : "les banquiers ne sont pas des philanthropes, ils font leur boulot. Ils ont un calendrier électoral sous les yeux et ils regardent les sondages". Notamment pour s'assurer que le seuil permettant un remboursement des dépenses sera franchi. En 2012, Eva Joly n'a recueilli que 2,3% des voix à la présidentielle. EELV doit encore régler 180.000 euros cette année pour terminer le remboursement de sa campagne.
"Les banques n'ont jamais été très chaudes pour prêter aux politiques, mais elles le sont encore moins maintenant", confirme à Europe 1 un consultant en risque crédit ayant travaillé pour plusieurs établissements. "Les partis présentent un profil risqué : on ne peut pas savoir ce qu'ils feront aux prochaines élections. Ce peu d'intérêt économique se double d'un risque de réputation : aucune banque ne souhaite qu'on lui colle une étiquette politique". Conclusion : pour cet expert, prêter à un parti, "c'est comme financer un club de football ! C'est très exposé médiatiquement et les revenus sont erratiques".
Les récentes affaires ont un peu plus compliqué les choses. "Le coup de grâce a été le rejet des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy" en juillet 2013, assure le frontiste Wallerand de Saint-Just. Chez les écologistes, Marie-Pierre Bresson cite l'affaire Bygmalion, mais aussi la procédure judiciaire visant les comptes de campagne du FN. "Ça n'aide pas à établir une totale confiance", euphémise-t-elle.
Derrière ces difficultés, une question revient, lancinante : faut-il revoir le système de financement de la vie politique ? "Le problème, c'est que tout le financement public repose sur les élections présidentielles et législatives", déplore Daniel Fasquelle chez Les Républicains. "Il faudrait le lier à tous les scrutins". Au PS, Jean-François Debat se dit satisfait des règles en vigueur. "Ce système permet une stabilité et assainit la vie politique", défend-il, refusant de revenir à "des pratiques délétères qui avaient cours il y a 20 ans". Au FN, on plaide pour la création d'une structure bancaire dédiée. "Une sorte de banque d'Etat qui prêterait de façon indépendante, en fonction d'un certain nombre de critères prudentiels", suggère Wallerand de Saint-Just. En attendant, "je n'ai pas fini de partir à Moscou", soupire le trésorier du Front national.