Avant dimanche soir, Vincent Peillon était un homme déjà bien occupé. Ecrivain, professeur à l’Université de Neuchâtel et député européen, il vient d’ajouter une nouvelle corde à son arc en déclarant sa candidature à la primaire du Parti socialiste et de ses alliés. Avec une première mission urgente : rédiger un projet politique en un temps record, puisque, mine de rien, le premier tour de la primaire est prévu pour le 22 janvier, soit dans moins de six semaines. L’ancien ministre de l’Education a déjà livré quelques pistes, qui doivent lui permettre de se démarquer de l’aile gauche d’Arnaud Montebourg et de l’aile droite de Manuel Valls. Au centre du PS donc.
Un parti dont Vincent Peillon maîtrise parfaitement les rouages et secrets. En 2002, il créait avec Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, deux de ses actuels adversaires de la primaire, le Nouveau Parti socialiste (NPS). Mais l’homme est connu aussi pour ses revirements, parfois spectaculaires, qui lui valurent le surnom de "serpent", par François Hollande. En 2005, il lâche ainsi Arnaud Montebourg en plein congrès PS au Mans. "Le plus dur moment de ma vie politique", témoignera trois ans plus tard dans un livre l’ancien ministre de l’Economie. En 2009, Vincent Peillon récidive. Il tente purement et simplement - mais en vain - de subtiliser son mouvement à Ségolène Royal, dont il fut longtemps proche et même porte-parole de la campagne présidentielle, en 2007. Pas facile donc pour Vincent Peillon de se réclamer d’une cohérence politique et d’une fiabilité certaine. Autant de travers qu’il devra faire oublier avec un programme solide.
Les fondamentaux du PS pour se démarquer de Valls
Une chose est sûre : les fondamentaux socialistes seront des marqueurs forts du projet Peillon. Ce sera l’angle d’attaque privilégié à l’encontre de Manuel Valls. Une critique qui a déjà commencé. "J'ai mon identité politique, mon projet. Je n'ai jamais changé de ligne. J'ai toujours défendu les 35 heures, je n'ai jamais dit que je voulais supprimer l'impôt de solidarité sur la fortune", affirme-t-il ainsi lundi dans Le Monde, visant sans le citer l’ancien Premier ministre. L’eurodéputé affirme aussi vouloir supprimer le 49-3, dont s’est servi Manuel Valls pour faire adopter la très controversée loi travail.
Une loi avec laquelle Vincent Peillon prend ses distances, notamment sur l’une des mesures les plus emblématiques : l’inversion de la hiérarchie des normes. "Le système français des branches fonctionnait très bien, et j’estime qu’il ne faut pas désarmer les salariés", argue-t-il. Idem pour la possibilité donnée aux entreprises de moins rémunérer les heures supplémentaires. "Au moment où le pouvoir d’achat redémarre, il ne faut pas baisser les revenus des Français", insiste-t-il. Vincent Peillon n’a pas non plus caché son hostilité avec la déchéance de nationalité pour les terroristes, à laquelle au contraire Manuel Valls était très attachée. Enfin, se voulant le défenseur "d’une idée humaniste de la laïcité républicaine qui est celle de 1905", il affirme ne pas comprendre "qu'on ait pu soutenir des arrêtés contre le burkini. Là encore, c’est l’ancien Premier ministre qui est visé. Défenseur intransigeant de la laïcité, le philosophe Peillon devrait faire de ce thème l’un des axes majeurs de sa campagne.
L’Europe pour se démarquer de Montebourg
Pour prendre ses distances avec Arnaud Montebourg, l’autre favori de la primaire, Vincent Peillon devrait abondamment parler d’Europe. Et en bien, quand l’ancien ministre de l’Economie montre volontiers des penchants souverainistes et protectionnistes. Ce qui ne plaît pas à tous les socialistes. "C’est dans l’Europe que nous devons mener nos combats", explique Vincent Peillon dans Le Monde. "Nous ne pouvons pas sortir du jeu politique européen. Il correspond à nos valeurs. Nous devons au contraire y peser davantage, prendre des initiatives. Menacer de faire les choses unilatéralement n’est pas la bonne option", insiste-t-il en visant clairement son camarade. On est loin de Montebourg, qui a promis en septembre sur France 2 d’aller casser la vaisselle à Berlin s’il est élu président de la République.
La rénovation démocratique pour se démarquer… tout court
Avec le social et l’Europe, la rénovation démocratique, comprendre la réforme des institutions, la raison d’être de feu le NPS, sera le troisième axe de Vincent Peillon. Au-delà de la suppression du très décrié article 49.3, qui permet au gouvernement de passer un projet de loi en force, l’ancien ministre de l’Education pourrait proposer, selon Libération, la suppression pure et simple du Sénat, cette "anomalie démocratique", selon la formule de Lionel Jospin, dont Vincent Peillon fut proche quand il était premier secrétaire du PS, entre 1995 et 1997. A l’heure où les Français pestent contre leurs représentants politiques, la proposition pourrait rencontrer un certain écho.
Son passage au gouvernement : un atout… et une faiblesse
Certains veulent faire oublier leur contribution au quinquennat ? Ce ne sera pas le cas de Vincent Peillon. L’homme souhaite défendre et François hollande et son action. "Je pensais que François Hollande serait candidat parce que je considérais que l'appréciation de son bilan, comme celle de sa personne, était injuste par rapport à la réalité", affirme-t-il dans Le Monde. "Un pays comme la France qui a rétabli ses comptes publics et sociaux sans attaquer le modèle social, c'est unique", insiste-t-il. L’ancien ministre de l’Education s’inscrit donc dans la droite ligne de l’action hollandaise, plus encore que Manuel Valls.
Pourtant, si son passage au ministère l’Education a marqué les esprits, ce n’est pas uniquement pour du positif. Certes, Vincent Peillon a mis sur les rails une réforme excessivement ambitieuse, celle des rythmes scolaires. Mais le texte, mal annoncé, ma expliqué, ne convainc toujours pas aujourd’hui. Cet agrégé de philosophie a aussi lancé les ABCD de l’égalité filles-garçons. A chaque fois, il a su résister aux attaques de la droite. Mais il a aussi été l’auteur de célèbres "couacs" parmi ceux qui ont marqué le gouvernement Ayrault. Il a ainsi été recadré sur le calendrier de sa réforme ou sur le temps de travail des professeurs de classes préparatoires.
Mais la sortie de route qui lui valut le plus ferme des recadrages date d’octobre 2012. Ingénu, le tout récent ministre de l’Education affirme sur France Inter se dit très étonné parfois du côté "un peu retardataire de la France" sur la dépénalisation du cannabis et propose d’ouvrir le débat sur le sujet. Provoquant, surtout, l’ire de son Premier ministre Jean-Marc Ayrault et de François Hollande. Assurément, Vincent Peillon devra préciser sa pensée sur ce sujet sensible. Comme sur beaucoup d’autres. Et vite, car le temps presse.