Pour ses partisans, elles permettent, comme l'a dit Edouard Philippe, d'"aller vite sans escamoter le débat parlementaire". Pour ses détracteurs, nombreux, c'est au contraire un moyen de passer en force en muselant le Parlement. Comme souvent, la réalité sur les ordonnances, ce dispositif législatif que s'apprête à réutiliser le gouvernement pour faire passer sa réforme ferroviaire, se situe quelque part entre les deux. Europe 1 vous aide à y voir plus clair.
- Légiférer par ordonnance, c'est quoi ?
Faire passer une réforme par ordonnance signifie que l'exécutif ne suit pas le processus législatif classique, avec la présentation d'un projet de loi, sa discussion (et son amendement) dans les deux chambres du Parlement (Assemblée et Sénat), puis, enfin, son éventuelle adoption après des allers-retours entre les deux.
Dans le cas des ordonnances, le gouvernement va présenter une loi d'habilitation au Parlement. Cette loi fixe le cadre au sein duquel l'exécutif est autorisé à légiférer par ordonnances, ainsi que la période pendant laquelle il peut le faire. Elle doit être adoptée à la majorité absolue par l'Assemblée et le Sénat qui, dès lors, délègue ses pouvoirs au gouvernement. Celui-ci écrit les ordonnances, les soumet au Conseil d'État pour un avis consultatif, puis les adopte en Conseil des ministres et le président de la République les signe. Les ordonnances entrent alors en vigueur.
Ensuite, le Parlement examine et vote un projet de loi de ratification des ordonnances. S'il s'exécute, les ordonnances prennent valeur de loi. Si le texte de ratification est rejeté, elles n'ont qu'une valeur règlementaire, c'est-à-dire inférieure à la loi.
Les ordonnances ont beau faire débat, elles sont monnaie courante dans l'histoire politique française, y compris sous les IIIe et IVe République. Récemment, François Hollande a légiféré par ordonnances pour simplifier les procédures judiciaires et sous Nicolas Sarkozy, le gouvernement a publié plus de 130 ordonnances pendant son quinquennat.
- Est-ce que cela coupe court à tout débat parlementaire ?
Les opposants à l'usage des ordonnances arguent que ce processus bien prévu à l'article 38 de la Constitution empêche tout débat parlementaire. C'est en partie vrai, puisqu'effectivement, le projet de loi ne fait plus de navette entre l'Assemblée et le Sénat, avec la possibilité d'être amendé et débattu à chaque fois. En outre, il n'y a pas de travaux législatifs : ni rapport, ni avis parlementaire, ni tableau comparatif avant/après.
Néanmoins, les textes d'habilitation et de ratification, eux, sont bel et bien débattus. Et parfois longuement, comme cela avait pu être le cas pour la réforme du code du travail, qui a donné lieu à quelque 300 heures de débat en hémicycle.
En somme, le Parlement donne bien des pouvoirs supplémentaires à l'exécutif, mais "pas non plus un blanc-seing", rappelle le constitutionnaliste Didier Maus à L'Opinion. "Le Parlement donne au gouvernement l'autorisation d'adopter par ordonnance une mesure dans une certaine perspective ou une certaine orientation."
- Est-ce que cela va vraiment plus vite ?
Le principal argument déployé par l'exécutif pour justifier l'usage des ordonnances est la rapidité. Dans le cas de la réforme ferroviaire, Edouard Philippe veut par exemple faire voter "les principes-clés avant l'été". Pourtant, légiférer par ordonnances prend parfois du temps. Beaucoup de temps. La réforme du code du travail à l'automne dernier en est un bon exemple. La loi d'habilitation a été votée en août 2017 mais l'ultime ratification, par le Sénat, n'est intervenue qu'à la mi-février 2018. En outre, l'opposition a encore déposé des recours devant le Conseil constitutionnel sur cette loi de ratification… autant dire que le processus est loin d'être terminé.
Le cas précis de la réforme ferroviaire
Dans le cas de la SNCF, Edouard Philippe a dit vouloir réduire "le contenu des ordonnances aux seuls aspects techniques". Autrement, le gouvernement promet de ne pas légiférer par ordonnances sur tout, mais plutôt sur les transferts de matériels roulants entre la SNCF et les nouveaux acteurs de la concurrence. En revanche, il se réserve le droit d'étendre les ordonnances "si certains sujets s'enlisent". En cas de blocages importants avec les syndicats, le contenu des ordonnances pourrait donc être bien plus large.