Cette fois, ça y est. Après plusieurs jours de non-suspense, Manuel Valls a annoncé lundi à Evry tout à la fois sa candidature à la primaire du Parti socialiste et sa démission du poste de Premier ministre. "Oui, je suis candidat à la présidence de la République", a-t-il lancé. Après deux ans et demi à Matignon, le voilà donc lancé dans une nouvelle aventure qui, il l’espère, doit le conduire à l’Elysée. Mais pour en arriver là, Manuel Valls a du travail, beaucoup de travail. Lui le spécialiste de la transgression, si clivant au sein même de son parti, doit désormais se poser en rassembleur. Il doit aussi enregistrer d’indispensables soutiens et définir une ligne politique claire, dans un espace restreint, entre Montebourg et Macron. Sans compter qu’il devra assumer aussi le bilan du quinquennat.
Se poser en rassembleur
Manuel Valls, au Parti socialiste et au-delà, c’est d’abord une personnalité clivante. L’aile gauche l’abhorre, l’aile droite l’adore. Dans ces conditions, il sera difficile de l’emporter, ne serait-ce qu’à la primaire PS. L’ancien ministre de l’Intérieur peut choisir de persister dans cette voie, de miser sur les deux gauches irréconciliables, qu’il a lui-même théorisées, mais il est plus probable qu’il tente au contraire de se poser en rassembleur. Ma candidature est celle de la conciliation, elle est celle de la réconciliation", a-t-il d’ailleurs lancé jeudi soir. Ces dernières semaines d’ailleurs, il a "gauchisé" son discours. En proposant le revenu universel par exemple, ou en promettant l’augmentation du salaire des enseignants. En affirmant aussi que l’islam n’était pas un problème pour la République.
Dans cette optique, fini donc alors les propositions iconoclastes au sein de son propre parti, celles qui lui avaient valu l’étiquette d’homme qui fait bouger les lignes du PS, qui bouscule la rue de Solférino. Il serait donc surprenant de l’entendre à nouveau préconiser la fin des 35 heures ou la suppression de l’Impôt sur la fortune, de l’entendre déclamer son amour de l’entreprise ou de fustiger la gauche passéiste qu’incarneraient ses adversaires. En revanche, ces derniers ne se priveront pas, eux, pour exhumer toutes ces petites phrases qui ont tant crispé dans son propre camp. Manuel Valls devra donc se métamorphoser, passer du transgressif au consensuel. Pas simple.
Trouver son espace politique
Pas simple, d’autant que Manuel Valls risque avec cette stratégie de perdre ce qui fait son originalité. Le souci pour lui, c’est que l’espace social-libéral et réformiste est déjà occupé à sa droite par Emmanuel Macron. C’est d’abord avec son ancien ministre de l’Economie qu’il devra faire entendre sa différence et se placer à sa gauche. Sur les 35 heures par exemple, puisqu’il n’est plus question pour lui de les remettre en cause, ou sur le nombre de fonctionnaires, que le fondateur d’En Marche veut réduire. Mais les différences sont tout de même minces entre les deux hommes.
Il est fort à parier donc que Manuel Valls concentre ses attaques sur la droite. Et cela tombe bien, puisque c’est un candidat très droitier, François Fillon, qui a été désigné à l’issue de la primaire. L’ancien Premier ministre a déjà commencé à s’attaquer à l’un de ses prédécesseurs à Matignon, fustigeant un programme "injuste car il est dur pour les plus modestes et généreux pour les plus riches, un programme daté, libéral et conservateur, digne des années quatre-vingt, enfin un programme brutal qui s’attaque à notre modèle social, à l’État, aux services publics, aux fonctionnaires, aux policiers, aux enseignants, aux infirmières (et qui) met en cause le rôle des partenaires sociaux." Bref, un programme idéal pour se replacer à gauche sur le spectre politique.
Réunir des personnalités autour de lui
En matière de soutiens, Manuel Valls, c’est un peu le François Fillon de la gauche. Le futur ex-Premier ministre peut se targuer d’un large soutien parlementaire, mais rares sont les élus clairement identifiés par le grand public. Philippe Doucet, Luc Carvounas, Carlos Da Silva ou encore Christophe Caresche font figure de plus fidèles relais à l’Assemblée nationale. Pas de poids lourd, donc, même si nécessairement l’opinion devrait apprendre à les connaître dans les semaines qui viennent.
Au sein même du gouvernement, les ministres pro-Valls sont plutôt rares. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement, et Jean-Jacques Urvoas, ministre de la Justice, sont de ceux-là. C’est peu, là encore. D’autant que plus nombreux sont les ministres dont les relations avec leur ancien chef sont au mieux compliquées, au pire délétères. Ségolène Royal et Najat Vallaud-Belkacem se sont ainsi publiquement émus de certaines décisions de Manuel Valls. Et il suffit d’étudier la réaction de Stéphane Le Foll quand on lui demande s’il va soutenir l’ancien maire d’Evry, désormais. "Je prendrai du temps et je ferai mon choix avec le recul nécessaire", a déclaré le porte-parole du gouvernement sur France Info. On a vu plus enthousiaste.
Cela dit, plusieurs ministres "hollandais" historiques devraient rapidement franchir le pas. Michel Sapin, à l’Economie, et Jean-Yves le Drian, à la Défense, ont laissé entendre qu’ils soutenaient activement Manuel Valls. Des soutiens qui pourraient bien peser au final.
Assumer (tant bien que mal) son bilan
C’est probablement le chantier qui s’annonce le plus compliqué pour Manuel Valls. Après le renoncement de François Hollande, le voilà seul tributaire du bilan du quinquennat. Vu la perception que les Français en ont, c’est un boulet qui sera lourd à traîner. Et on peut compter ses adversaires pour rappeler à l’envi qu’il est lui aussi responsable des résultats obtenus. Responsable, ainsi, d’avoir milité pour la déchéance de nationalité, seul regret de François Hollande. Responsable aussi d’avoir fait passer la loi Travail à coups de 49.3. Responsable enfin du virage libéral de mars 2014, quand il est entré à Matignon.
Assurément, Manuel Valls insistera sur les aspects positifs du quinquennat, comme le mariage pour tous et le début d’une tendance d’inversion de la courbe du chômage. Pendant les cinq semaines qui viennent, il tentera aussi de prendre ses distances avec l’action gouvernementale. C’est d’abord pour cela qu’il quitte Matignon. Mais il reste moins de deux mois avant le premier tour de la primaire, programmé pour le 22 janvier. Très court pour mener à bien tous ces chantiers.