Plus de 1.000 médecins hospitaliers, dont quelque 600 chefs de service, ont démissionné collectivement de leurs fonctions administratives pour protester contre le manque de moyens à l’hôpital public. "Je les comprends, je les soutiens, je partage le constat de la dégradation de l’hôpital public. Simplement, je trouve que la méthode utilisée n’est pas la bonne. Malgré toute la solidarité que je leur dois, sur ce coup-là ils ont tort", estime le professeur Michael Peyromaure, chef de service en urologie à l’hôpital Cochin de Paris, mardi soir sur Europe 1.
"Ce n’est techniquement pas tenable"
"Ce n’est techniquement pas tenable de démissionner des tâches administratives, parce qu’on ne peut pas aussi facilement dissocier les soins quotidiens de l’administration. En plus, ça risque d’être totalement contre-productif et d’aggraver la situation dans les services", poursuit Michael Peyromaure, qui cite plusieurs exemples pour illustrer son propos.
"À Cochin, à Paris, on fait le recensement des équipements, notamment en chirurgie. Les équipes médicales demandent le matériel nécessaire pour fonctionner, et font remonter leurs besoins à l’administration. Il n’est pas possible de ne pas faire cette tâche, sinon les médecins n’auront plus d’équipements."
"Les médecins n’arrivent pas à franchir le cap de la désobéissance"
Le professeur estime qu’il existe d’autres alternatives que la démission pour protester. "Il y a deux actions qui pourraient avoir un impact : la grève des soins, à laquelle on se refuse évidemment, et la grève du codage, qui consiste à ne pas retranscrire les codes des actes qu’on fait à l’hôpital, et qui assèche les finances de l’administration", explique-t-il.
"400 services, dont le mien, ont entamé cette grève du codage, mais comme ça ne prend pas d’ampleur, ça reste marginal. Dans leur ensemble, les médecins sont de bons élèves et sont habitués à faire ce que l’administration leur demande. Donc ils n’arrivent pas à franchir ce cap de la désobéissance."
"Des décennies d’incurie"
Michael Peyromaure refuse d’accabler l’actuelle ministre de la Santé, Agnès Buzyn, même s’il reproche au gouvernement de refuser d’entamer une réforme en profondeur du système de santé. "Agnès Buzyn hérite de décennies d’incurie de gestion de l’hôpital public. Mais elle ne veut pas réformer véritablement le système, c’est-à-dire changer la gouvernance, rééquilibrer le pouvoir entre l’administration et les médecins. On pourrait par exemple, comme dans d’autres pays, faire des départements autonomes, avec leur propre budget", assure-t-il.
Le chef de service à l’hôpital Cochin estime également qu’il faudrait augmenter le temps de travail des agents hospitaliers, qu’il juge "très bas". "Il faudrait aussi revoir les rémunérations, et le temps de travail. Le temps de travail des agents hospitaliers est très bas, à 35 heures à l’hôpital et 32 heures la nuit. Si on revenait aux 39 heures, ça comblerait beaucoup de lacunes dans les services. Je suis tout à fait d’accord pour dire que les salaires des infirmiers sont bas, mais on pourrait aussi revoir les grilles et les statuts."
"L’hôpital public va se dégrader, je ne suis pas très optimiste"
Mais, malgré ses préconisations, Michael Peyromaure se montre pessimiste pour l’avenir de l’hôpital public. "L’hôpital public va se dégrader, je ne suis pas très optimiste sur son devenir. A mon avis, dans les cinq ans à venir, il y aura une déliquescence continuelle. Je ne vois pas comment, sans réforme globale du système de santé, on pourra dégager les marges suffisantes pour revaloriser les salaires et remettre du personnel. Ça me semble impossible. Ce n’est pas une fatalité, mais il faudrait un gouvernement courageux qui réforme de fond en comble le système. Et ce n’est pas le cas."