C'est une certitude martelée à maintes reprises par François Hollande : pour trouver du gaz de schiste, on ne mettra pas de l'eau dans le sol. Du gaz, en revanche... Selon le Canard enchaîné, Arnaud Montebourg aurait réuni en toute discrétion une équipe chargée d'étudier un nouveau moyen d'extraire le gaz, controversé, mais susceptible de rapporter gros. L'idée ? Insérer du fluoropropane dans le sol, pour en extraire (proprement, en théorie) ses richesses profondes. Du "fluoro..." quoi ?
>> Europe1.fr a tenté d'en savoir plus sur l'état des connaissances scientifiques, et industrielles, au sujet de ce gaz méconnu mais déjà attendu au tournant.
Fluoropropane, qui est-tu ? Même s'il a rarement fait la Une des journaux avant celle du Canard enchaîné, le fluoropropane n’est pourtant pas un petit nouveau. Il était même jusque là bien connu des… fabricants d'extincteurs et d'inhalateurs pour asthmatiques."Le fluoropropane est un gaz dérivé du propane. Le propane est composé de trois atomes de carbone et huit d'hydrogène. Si vous remplacez sept des huit atomes d'hydrogène par des atomes de fluores, vous obtenez du fluoropropane", professe pour Europe1.fr François Kalaydjian, directeur adjoint ressource à l'IFP énergie nouvelle, l'organisme public de recherche sur l'énergie.
En quoi serait-il mieux que la fracturation hydraulique ? La très décriée fracturation hydraulique, cette technique d'extraction du gaz de schiste, consiste à injecter de l'eau et des produits chimiques dans le sol, pour le fissurer et extraire le gaz. Or, avec le fluoropropane, pas besoin de produits chimiques. "Il est utilisé sans eau ni additifs et le fluide de fracturation peut être récupéré quasi intégralement, sous forme gazeuse", explique un rapport parlementaire sur les "techniques alternatives à la fracturation hydraulique", publié en novembre dernier.
Cette vertu est d'ailleurs partagée avec le propane, déjà utilisé aux Etats-Unis. Mais, contrairement à ce dernier, le fluoropropane n'est pas inflammable. Et il ne nécessite donc pas des millions d'euros d'investissements pour le sécuriser.
Est-il prêt à être utilisé ? En réalité, tout ce que l'on sait sur la possibilité d'extraire du gaz de schiste grâce à ce gaz vient d'une seule société : la Texane ECorp. "À notre connaissance, c'est la seule société qui explore cette piste. Elle va d'ailleurs probablement déposer des brevets", confie ainsi l'Union française des industries pétrolières (Ufip), contactée par Europe1.fr. Néanmoins selon l'Ufip, il reste encore du travail avant de pouvoir l'utiliser. "On en est au stade de la recherche et du développement, à la toute première étape", estime l'organisation.
Mais, reconnait l'Ufip, "les recherches en la matière peuvent avancer très vite". Pour le sénateur UMP Jean-Claude Lenoir, co-auteur du rapport sur les "techniques alternatives à la fracturation hydraulique", contacté par Europe1.fr, ECorp est même déjà très avancée. "Ça commence à être opérationnel. ECorp l'utilise pour exploiter des puits aux Etats-Unis. Cela reste de l'expérimentation, mais à grandeur réelle. Plusieurs puits ont été stimulés avec", assure le parlementaire, en contact avec la société texane.
Le hic : le coût. Le fluoropropane n'est pas non plus sans défaut. Et si les industries pétrolières, à l'exception d'ECorp, rechignent à investir dedans, c'est qu'il coûte cher à produire. "Le fluoropropane résulte d'une synthèse, il demande un effort supplémentaire par rapport au propane, c'est pour cela qu'il est plus cher", décrypte François Kalaydjian. "La faisabilité économique reste à prouver. Au sujet du coût de fabrication, on ne sait rien", reconnait-on également à l'Ufip.
"Mais j'imagine qu'il est recyclable, comme le propane. Le propane est presque 100% recyclable : il y a donc des coûts au départ mais beaucoup moins après", nuance toutefois François Kalaydjian. Un avis partagé par le sénateur Jean-Claude Lenoir. "Toute la clé sera d'éviter les fuites et de récupérer le gaz. Nous manquons de recul et il faut rester vigilant mais cela peut être un substitut intéressant à la fracturation hydraulique", insiste le parlementaire.
Un danger pour l'environnement ? L'autre critique formulée autour du fluoropropane vient des associations environnementales. "Quelle que soit la technique utilisée, il est aberrant de se lancer dans l'exploitation d'une nouvelle ressource fossile", lançait ainsi Greenpeace en janvier, après les révélations du Canard enchaîné. Et pour cause : le fluoropropane est lui même un gaz. Et relâché dans l'atmosphère, il entraîne des effets de serre. "Le gaz de schiste dit "écolo" ou "propre", etc., restera une chimère au moins dans le sens où toute combustion de source d'énergie carbonée génère des émissions de gaz à effet de serre", écrit ainsi le journaliste spécialisé Matthieu Auzanneau, dans le blog du Monde Oil Man.
Un avis que nuancent toutefois certains spécialistes. "Le fluoropropane rejette des gaz à effets de serre, certes, mais seulement s'il y a un accident. S'il est bien encadré, dans de bonnes infrastructures, il ne devrait rien rejeter puisqu'il est censé être recyclé. De plus, il n'est pas toxique et dangereux pour l'homme", estime ainsi François Kalaydjian, d'IFP énergie nouvelle.
Total sur le coup ? Le géant pétrolier tricolore est partenaire de la société ECorp. Total possède en effet 40% de deux permis d'exploitation de gaz de schiste avec la société texane. Mais cela ne veut pas dire qu'elle partagera quoi que ce soit au sujet du fluoropropane. "On ignore si Total est en partenariat au sujet de cette technologie. ECorp sécurise probablement sa propriété industrielle", avance pour sa part l'Ufip.
"Total, à ma connaissance, n'a pas accès à cette technologie sur le fluoropropane", poursuit également le sénateur Jean-Claude Lenoir. "Mais ils ont, selon ce que j'ai appris après des conversations informelles avec les dirigeants, une relation très étroite en matière de technologie en général", assure-t-il toutefois.
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