Loi sur le renseignement : un texte protecteur ou liberticide ?

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Chloé Pilorget-Rezzouk , modifié à
Selon ses détracteurs, le projet de loi, qui vise à encadrer les missions des services de renseignement, mettrait à mal les droits individuels au nom de la sécurité.

Le projet de loi sur le renseignement, débattu cette semaine à l'Assemblée nationale, vise à encadrer les pratiques des agents du renseignement et à améliorer leurs moyens de surveillance, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Ce texte va-t-il à l'encontre des libertés individuelles en donnant trop de latitude aux services et en autorisant certaines pratiques de surveillance inédites ? Deux spécialistes répondent à cette question.

CONTRE.Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés était l'invitée de David Abiker, dimanche matin. Elle porte un regard critique sur le texte de loi tel qu'il va être présenté.

"En l'état, ce texte n'est pas assorti de garanties suffisantes et porte donc, potentiellement, atteinte aux libertés", a estimé la conseillère d'Etat. "Au niveau de la Cnil, nous avons identifié que ces nouveaux outils peuvent être mis en place pour des finalités extrêmement larges", a pointé la présidente de la Cnil, insistant sur le fait que des finalités autres que le terrorisme avaient été retenues parmi les sept motifs justifiant d'engager une surveillance.

Des outils trop vagues. La présidente de la Cnil a aussi déploré que l'usage des nouveaux outils encadrés légalement, comme l'Imsi-catcher (un appareil espion qui capte toutes les conversations ou sms des portables environnants) ou les keyloggers (des logiciels espions qui enregistrent ce qui est tapé sur un clavier d'ordinateur), ne soient pas décrits assez précisément. D'autant que les durées de conservations de données peuvent aller jusqu'à cinq ans dans certains cas. "On a toute une série d'éléments qui nous font dire que le critère de proportionnalité n'est pas suffisamment pris en compte, et qu'il y a un risque pour les libertés individuelles", a ainsi affirmé Isabelle Falque-Pierrotin.

Les propositions de la Cnil entendues... en partie. La Cnil, qui a été consultée sur le projet de loi, a rendu un rapport, dont Le Monde a eu connaissance. "La Cnil a été écoutée : on a notamment réservé l'usage de certains outils pour le terrorisme", a avancé Isabelle Falque-Pierrotin. Toutefois, la présidente a ajouté que le gouvernement n'avait pas répondu à une demande concrète de la Cnil : celle de soumettre au contrôle d'une autorité extérieure, le devenir des données collectées à travers ces nouveaux outils, notamment du fait qu'elles sont enregistrées dans des fichiers de renseignement non contrôlés. "Sur cette question précise, il n'y a eu aucun changement dans la position du gouvernement", a déploré la juriste.

Aucun contrôle externe sur les informations récoltées. Pour elle, la "situation est assez paradoxale", car "l'on reconnait de nouveaux moyens de collecte, donc de nouveaux modes d'alimentation des fichiers de renseignement, sans que pour autant ces fichiers eux-mêmes ne soient soumis à un contrôle externe".  

POUR. David Benichou, juge d'instruction au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, estime au contraire que ce texte est nécessaire et rassurant.

"Dès que l'on parle de renseignement, cela inquiète, c'est normal", a déclaré le magistrat sur Europe 1, lundi matin. "Mais la pire des inquiétudes serait qu'il n'y ait pas de texte ni de débat, car en leur absence, on peut faire n'importe quoi. Et dans le passé, les services de renseignement ont pu faire à peu près n'importe quoi." En effet, auparavant, en l'absence de règles pour encadrer les pratiques des services de renseignement, l'usage de certaines techniques était illégal. "On ne sait pas si cela était utilisé ou pas, mais il faudrait être un peu naïf pour se dire que cela n'a pas été utilisé", a reconnu David Benichou qui estime justement qu'"il y a une vertu à vouloir écrire noir sur blanc ce que l'on peut faire et ne pas faire, et en débattre."

"Pas d'autre moyen" que l'Imsi-catcher. A propos de l'outil controversé qu'est l'Imsi-catcher, le magistrat a déclaré "ça ne me gêne pas", avant d'expliquer pourquoi : "Vous vous retrouvez parfois dans des situations opérationnelles où vous ignorez les numéros des lignes ou les mobiles à surveiller. Il n'y a alors pas d'autre moyen que d'avoir des détecteurs qui se font passer pour un relais pour obtenir tout le trafic et isoler les lignes qui vous intéressent."

Dans le cas d'écoutes en milieu pénitentiaire, où les portables sont interdits : "Comment vous faites pour savoir quel détenu à quel téléphone ?" C'est pourquoi, assure le magistrat, "il faut ratisser large" afin de "sélectionner, ensuite, les lignes utiles". D'autant que, "quand vous avez des lignes à surveiller, pour de bonnes raisons, vous n'allez pas perdre votre temps à surveiller celles qui ne vous intéressent pas", a ajouté David Benichou, soulignant que les agents "doivent rester sur les objectifs qui leurs sont assignés dans une procédure strictement définie, assignée et contrôlée".

Certes, le juge a convenu qu'il existe des risques de dérapage, "dès que la technologie permet un usage". Mais pour David Benichou, le projet de loi va justement dans le bon sens : "L'existence d'un texte est plutôt de nature à limiter les dérapages", a conclu le magistrat du pôle antiterroriste parisien.

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