Pendant longtemps, Anne-Lise, 42 ans, a vécu en encaissant parfois très durement aussi bien ses propres émotions que celles de son entourage. Il y a deux ans, cette ancienne cadre de la fonction publique a décidé de faire de ce trait de caractère, que la société considère comme une faiblesse, une force. Elle a raconté son parcours à Olivier Delacroix, lundi sur Europe 1.
"J'ai pris conscience assez récemment, il n'y a pas plus de deux ans, que je ressentais très fortement les émotions des gens. Quand je les touchais, je ressentais les douleurs à l'endroit où ils en avaient, et également leurs émotions, sans même qu'ils ne les aient exprimées auparavant. En ayant une éducation très cartésienne, j'ai mis un peu de temps avant de comprendre que c'était réel. À chaque fois, je pouvais vérifier que les ressentis que j'avais correspondaient à des douleurs ou des émotions réelles, sans que je ne puisse l'expliquer.
Je pense que je me suis toujours sentie différente, sauf que je ne le formalisais pas comme ça. Je pouvais très mal vivre certaines situations qui, pour mon entourage, n'étaient pas si difficiles que ça. Parfois, je pouvais subir des moqueries de leur part, et une incompréhension de mon côté comme du leur. J'ai toujours été sensible, mais avant que je comprenne que c'était très exacerbé, il m'a fallu 40 ans de vie, de parcours et de moments difficiles pour remettre toutes les pièces du puzzle en place.
Ça ne changera jamais, les gens ne comprennent pas que l'hypersensibilité n'est pas une faiblesse, mais presque un handicap. La société, le monde du travail ne sont pas adaptés pour ça. Les parents ne savent pas forcément ce que c'est que l'hypersensibilité. Donc ils ne vont pas en tenir compte pour éduquer l'enfant. Si on a un enfant autiste ou handicapé, on va savoir, on va en tenir compte et chercher à avoir une prise en charge adaptée, car maintenant ce sont des choses qui sont connues. Moi, mes parents ont cherché à comprendre, mais ils ne comprenaient pas.
Les gens souvent nous donnent beaucoup de conseils en nous disant : "il faut prendre de la distance, du recul, voir les choses différemment…" Or, ce n'est absolument pas un problème de prise de recul. Quand on ressent les choses puissance 10, l'impact ne va pas être le même et il va falloir le gérer. Mais on ne nous apprend pas à le gérer.
La tendance que l'on peut avoir, c'est de faire l'infirmière. Je me défends de le faire avec des gens qui peuvent être nocifs ou agressifs, des personnalités toxiques. Mais on a un tel niveau d'empathie quand on va ressentir les émotions des autres, que l'on a spontanément envie de leur tendre la main, d'être là pour eux. Et c'est génial d'un côté, car ça donne du sens à ma vie de me dire que je vais être là pour les autres. Mais la société n'est tellement pas à cette image que l'on se sent complètement en décalage.
Quand je suis entrée dans la vie active, je ressentais le besoin de changer de travail tous les deux ans environ. À chaque fois, je me rendais compte que je vivais ou étais témoin d'injustices très importantes que je ne pouvais pas accepter. Soit quand j'encadrais, vis-à-vis de mes équipes, soit de la part de mes supérieurs hiérarchiques à mon égard ou à l'égard de mes collègues. J'ai d'abord travaillé dans le privé, en cabinet de recrutement, en société de prestations de services informatiques, puis je suis entrée dans la fonction publique. J'ai occupé différents postes au ministère de l'Intérieur puis au ministère de l'Agriculture.
Un jour, j'ai fait le point sur ma vie, sur ce que j'avais vécu personnellement et professionnellement. Je n'étais plus du tout heureuse comme ça. La vie professionnelle en était en très grande partie la cause, ça ne venait pas de moi. J'ai dû tout remettre à plat : qui j'étais, comment je fonctionnais, de quoi j'avais besoin, ce qui me rendait heureuse. Je savais que cette vie ne me rendait pas du tout heureuse, entre mon travail, mes déplacements, le stress… Je vivais des choses qui me heurtaient en permanence. Je me suis dit que je ne voulais pas vivre comme ça, sinon ça n'en valait pas la peine.
Puis j'ai suivi une formation en énergétique chinoise pour approfondir ces ressentis par le toucher, et ça a été une vraie révélation. J'ai découvert un univers où je pouvais faire du bien aux gens. Tout à coup, c'est devenu évident. J'étais quand même cadre dans la fonction publique. Toutes les portes qui étaient ouvertes derrière moi se sont refermées d'un seul coup. Je me suis dit que ça n'avait plus de sens, et que peut-être que ma place, c'était ça. Si je peux aider les gens, je vais le faire, parce que ça me rend heureuse. Aujourd'hui, je suis praticienne bien-être, je me suis reconvertie."
L'avis de Nathalie Clobert,
Psychologue et auteure de Dompter votre hypersensibilité
L'hypersensibilité, c'est de manière générale une plus grande sensibilité à ce que l'on perçoit à l'intérieur ou à l'extérieur de soi, et c'est une réponse émotionnelle plus intense. Ces gens vont donc percevoir davantage et réagir plus intensément. Cette hypersensibilité peut être sensorielle (les sons, les couleurs, les odeurs, les sensations tactiles…) ou émotionnelle. Ce sont des personnes très empathiques qui ressentent très fortement les émotions des autres, et leurs propres émotions, de manière décuplée.
L'hypersensibilité est différente de la dépression, même si une certaine hypersensibilité fait partie du tableau de la dépression. Dans la dépression, on peut être à fleur de peau, irritable et sensible surtout aux émotions négatives et au contraire moins sensible aux émotions positives. Les hypersensibles de nature, eux, se décrivent comme tels depuis le début et pas uniquement depuis le début de la dépression. De plus, ils sont sensibles aussi bien aux émotions positives que négatives. Ils peuvent pleurer de joie comme pleurer de tristesse, et ces émotions peuvent passer rapidement en fonction de ce qu'ils peuvent percevoir.
De mon point de vue, il est résolument préférable d'être hypersensible, avec quelques nuances. Tout d'abord, l'hypersensibilité n'est pas une pathologie, c'est une caractéristique de la personnalité. Les hypersensibles représentent 15 à 20% de la population environ. Le regard social est souvent négatif, car on assimile cela à de la vulnérabilité, de la fragilité, de la faiblesse, donc à un défaut. En réalité, cela peut être un grand avantage, car cela peut donner accès à des perceptions plus détaillées, plus fines. Tout ce qui passe par des éléments non verbaux, notamment le toucher, va être bien perçu par les hypersensibles.
Par contre, il y a un travail à faire pour ne pas être complètement débordé par l'hypersensibilité, et pour en faire une ressource et une compétence. On ne l'efface pas, mais on peut apprendre à l'apprivoiser, en se servant de ce que l'on ressent comme d'une information par exemple.