Il en sait sans doute beaucoup. Mais Salah Abdeslam, seul survivant de la cellule terroriste à l'origine des attentats de Paris, collaborera-t-il avec la justice française ? Arrêté en Belgique, puis transféré en France, l'ex-fugitif a été présenté à des juges et mis en examen pour assassinats à caractère terroriste, fin avril. Vendredi, il sera entendu par les juges d'instruction français pour la première fois.
- Où sera-t-il entendu ?
Malgré les risques potentiels d'un déplacement de ce suspect clé, l'interrogatoire doit avoir lieu au palais de justice de Paris. Salah Abdeslam y sera donc conduit depuis la prison de Fleury-Mérogis, dans l'Essonne, où il a été placé à l'isolement le 27 mars. Ce trajet devrait se faire sous haute surveillance.
En mars, le transfèrement du terroriste présumé de la Belgique à la France avait eu lieu par voie aérienne. L'opération s'était déroulée en pleine nuit, avec un hélicoptère escorté par les troupes d'élite des gendarmes du GIGN. Les informations sur ce voyage n'avaient filtré qu'après le trajet, dont l'organisation était restée secrète. Cela ne pourra pas être le cas, vendredi.
- Qui va l'interroger ?
Pas moins de six juges d'instruction ont été co-saisis de l'enquête sur les attentats du 13 novembre : Nathalie Poux, Jean-Marc Herbaut, David de Pas, Isabelle Couzy, Laurence Le Vert et Christophe Teissier. Ce dernier, qui a déjà instruit le dossier des attentats de Toulouse et de Montauban, perpétrés par Mohamed Merah, devrait mener l'interrogatoire.
L'interrogatoire devrait durer toute la journée de vendredi. Son déroulé dépend de la volonté des juges. "Certains de mes collègues autorisaient une brève suspension" pour permettre, par exemple, a un suspect d'aller prier dans le couloir, a expliqué l'ancien magistrat antiterroriste Gilbert Thiel à RTL.
- Qui sera son avocat ?
La veille du transfèrement de Salah Abdeslam vers la France, le pénaliste lillois Frank Berton avait annoncé qu'il défendrait le survivant du commando en France. C'est lui qui avait annoncé la date de l'audition de vendredi devant les caméras. L'avocat a depuis précisé que son cabinet ne livrerait aucun commentaire, ni avant, ni après cet interrogatoire.
"Je dois construire tout de suite une relation, lutter contre l'isolement pour toucher l'humanité de ce garçon", indiquait l'avocat dans une interview à l'Obs, début mai. "Je lui ai seulement demandé de réfléchir à cinq points : le Bataclan, le stade de France, la ceinture d'explosifs, la voiture laissée dans le 18e arrondissement et son passage à Montrouge", a-t-il précisé.
- Collaborera-t-il avec la justice ?
"Salah Abdeslam m'a dit en face qu'il s'expliquerait sur le pourquoi et le comment des attentats de Paris", a également déclaré Frank Berton à l'Obs. D'après l'avocat, le suspect "a envie de s'expliquer" et pourrait livrer de précieuses informations sur l'élaboration du projet djihadiste, ses commanditaires et d'éventuels complices encore dans la nature. Il pourrait également éclairer les enquêteurs sur les liens entre les attentats de Paris et ceux de Bruxelles. "Il veut collaborer car il a des comptes à rendre, mais pas à la Belgique", avait indiqué son frère, Mohamed Abdeslam, début avril.
Devant les enquêteurs belges, Salah Abdeslam s'était présenté comme un simple pion aux ordres de son frère Brahim et d'Abdelhamid Abaaoud. Il avait menti en affirmant n'avoir rencontré ce dernier qu'une seule fois, alors que les deux hommes se connaissaient très bien. Sven Mary, l'avocat belge d'Abdeslam, avait décrit son client comme "un petit con" à "l'intelligence d'un cendrier vide", estimant qu'il avait le profil "d'un suiveur plutôt que d'un meneur".
- Qu'en attendent les victimes ?
L'arrestation du seul survivant du commando du 13-Novembre avait été vécue comme un "soulagement" par les victimes. "Les enquêteurs n'ont que lui sous la main, il peut aider s'il collabore, soit pour confirmer des éléments, soit pour donner de nouvelles pistes", estime l'avocat Gérard Chemla, qui défend une cinquantaine de victimes et leurs proches. "Après, il ne faut surtout pas être suspendu à ses lèvres" et attendre des "révélations sensationnelles", relativise-t-il, notamment parce qu'à ses yeux, "les investigations sont allées déjà très loin", avec le démantèlement du réseau, "bien décimé".
De son côté, Jean Reinhart, autre avocat qui assiste des dizaines de victimes et leurs familles, n'attend pas vendredi un "quelconque repentir", ni "une grande sincérité". "Les premières auditions sont souvent dans le déni. Il faut peut-être laisser le processus s'installer dans le temps." D'autres interrogatoires suivront dans le cadre de cette instruction, qui s'annonce très longue.