A l’époque du tout numérique, quand chaque membre de la famille a la fâcheuse tendance à coller son nez sur un écran, il reste un îlot de cohésion familiale à ne pas négliger : les repas. Ce moment où tout le monde se retrouve autour de la table, évoque sa journée, parle de choses plus profondes. Seulement voilà, il arrive aussi que ce moment tant attendu tourne au désastre. Un enfant qui refuse de manger, qui se tient mal, un(e) ado qui pique une colère, et le plaisir fait vite place à une épreuve que des parents peuvent redouter. Au point de renoncer ? Ce n’est évidemment pas la solution privilégiée par les psychologues spécialisés dans l’enfance.
L’émission Circuits Courts consacre vendredi 25 mai un numéro spécial sur le thème : " Quand s’attabler crée du lien : les bienfaits de la convivialité". Autour d’Anne Le Gall et Maxime Switek, François Bergerault, fondateur de L’Atelier des Chefs et Claude Fischler, sociologue de l’alimentation, débattront des bienfaits du repas assis et partagé en bonne compagnie.
Faut-il prendre ses repas avec les enfants ?
Pour les spécialistes de l’éducation, la réponse à cette question est évidente : c’est oui. "Le repas, dans la vie familiale, ça peut être un moment d’échange important", explique à Europe 1 la psychologue Béatrice Copper-Royer, spécialisée dans la clinique de l’enfant. "Ça fait partie des fondamentaux. L’enfant est tout le temps dans l’immédiateté. Là, c’est un temps de pause et d’échange qui doit être agréable", insiste-t-elle. "Il suffit de poser les bases du contrat pour savoir que le moment sera fort : nous nous apprêtons à passer un temps plus ou moins long, très rapprochés, pendant lequel nous allons nous parler, nous regarder", abondait en mars 2012 dans Psychologies le sociologue Jean-Claude Kaufmann.
Car comme pendant tout le reste de la journée, pendant le repas, l’enfant apprend. "On parle, on apprend à écouter, à attendre. Le repas, c’est l’occasion de confronter différents rythmes, on doit attendre, ne pas se lever de table dès qu’on a fini son assiette pour aller chercher un dessert dans le frigo. Ça fait grandir", reprend Béatrice Copper-Royer. "C’est un apprentissage de la vie en communauté. Car la famille est une petite communauté. C’est dans la famille qu’on apprend la bienséance, qu’on apprend à bien vivre avec les autres."
Et si l’âge des enfants ou le rythme des parents sont une barrière en semaine, il faut se rabattre sur les possibilités en week-end. "C’est quand même important. Il faut essayer de prendre un ou deux repas avec ses enfants", souligne la psychologue.
De quoi faut-il parler pendant le repas ?
Pour les parents, la tentation est grande de faire raconter aux enfants leur journée, leur vie à l’école, qui reste souvent mystérieuse pour eux. "L’intention est généralement bonne, mais le résultat, lui, rarement à la hauteur. Parce que les enfants eux, n’ont vraiment pas envie de parler de ça", tempérait dans Psychologie Jean-Claude Kaufmann, auteur en 2007 de Familles à table. "Le dîner doit rester un moment de convivialité, d’échange, où, l’air de rien, la plus petite des discussions peut être incroyablement précieuse. Parler de ce que l’on est en train de manger, par exemple, peut être extrêmement riche", poursuit le sociologue.
Attention toutefois de laisser la parole à tous les membres de la famille. "Il faut faire en sorte qu’il n’y en ait pas qu’un seul qui monopolise la parole, et tenter faire parler tout le monde. Car il faut être capable d’écouter. Ça aussi, ça s’apprend", rappelle Béatrice Copper-Royer.
Comment faire quand ça se passe mal ?
Le situations pouvant déraper lors d’un repas sont nombreuses : refus de manger, disputes, coup de colère… "Ça fait partie de la fonction parentale de réguler les échanges, et ce n’est pas la partie la moins intéressante", poursuit la psychologue.
L’auteure de Vos enfants ne sont pas de grandes personnes (ed. Albin Michel) appelle par exemple à ne pas dramatiser quand un enfant refuse de manger. "Il faut être assez détendu là-dessus", explique-t-elle. "En revanche, il ne faut pas de plat spécial. Je vois des familles où pratiquement tout le monde a son plat unique à manger. C’est une aberration. L’enfant n’est pas obligé de finir, mais il faut qu’il sache qu’il n’aura rien d’autre. Détendu mais ferme, donc".
En cas de coup de colère ou de disputes, la règle est de tout faire pour ramener le calme. "Là encore, c’est une fonction parentale, de faire retomber la tension", assure la psychologue. "Après, si un ou une ado quitte la table, on le (la) laisse faire, et puis on règle ça de façon individuelle. Parce que la famille, ce n’est pas un tribunal", poursuit-elle.
Ecrans interdits… même pour les parents
Reste le mal du moment, ces écrans qui ont tout envahi depuis quelques années. "A table, pas de portable, évidemment. Et c’est valable pour les parents. Si on fait des grands discours et qu’on ne se les applique pas à soi-même, forcément, ça ne marche pas. Donc interdiction de regarder ses mails ou autre", édicte Béatrice Copper-Royer. "La télé en fond sonore ou visuel, évidemment on évite aussi. C’est très important, parce qu’avec l’apparition des écrans, la communication familiale a énormément diminué. Chacun communique avec l’extérieur, mais plus au sein de la famille. Donc même si c’est fastidieux, tant pis, il faut faire face à ça aussi", conseille la psychologue.