En octobre 2016, Flavie Flament publiait La consolation (Ed. JC Lattès), un ouvrage dans lequel elle expliquait avoir été violée par un grand photographe à l'âge de 13 ans. Un mois plus tard, elle révélait à l'Obs l'identité de son agresseur - David Hamilton, qui s'est suicidé quelques jours plus tard. Interrogée sur le délai entre l'agression et ces révélations, l'animatrice de radio et de télévision expliquait : "Aujourd'hui, la justice condamne doublement la victime de viol. Au bout de 20 ans après la majorité, on vous explique que c'est trop tard. Et puis, vous pouvez aussi passer de victime à coupable : coupable de diffamation."
Depuis, la ministre des Familles Laurence Rossignol a décidé de confier à Flavie Flament et à l'ancien magistrat Jacques Calmettes "une mission de consensus" sur les délais de prescription des crimes sexuels sur mineurs, officiellement lancée vendredi. Ce délai doit-il être simplement supprimé, comme le préconise l'animatrice ? Europe1.fr a interrogé une gynécologue et un magistrat.
POUR - Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue, présidente de l'association Stop aux violences sexuelles : "Il est important de pouvoir parler tardivement"
"L'imprescriptibilité est l'un des points forts que notre association défend, pour deux raisons : d'abord parce qu'il est fondamental de donner accès à la justice aux victimes, quel que soit le moment, mais surtout parce que les agresseurs ne sont jamais les auteurs d'un seul fait. Un signalement, une condamnation peut donc éviter la récidive. En France, il y a une méconnaissance des dégâts humains des violences sexuelles sur mineurs, et de l'ampleur du phénomène. Or, si on ne s'attaque pas à la violence sexuelle subie par les enfants, c'est toute la société qui devient plus violente.
On sait aussi qu'au niveau médical, le corps se met à parler de plus en plus fort au fil des années, et des liens peuvent être établis entre certaines pathologies somatiques et un passé de violences sexuelles. Il y a des gens qui ont des doutes sur le fait d'avoir subi des agressions lorsqu'ils étaient mineurs, d'autres qui souffrent d'amnésie post-traumatique. Des années plus tard, un cancer du sein ou une endométriose, par exemple, peut réveiller le souvenir de l'agression. C'est pour cela qu'il est important de pouvoir parler tardivement.
En fait, plus le temps passe et plus on est capable d'avoir des arguments qui montrent qu'il s'est passé quelque chose. Et on sait qu'en cherchant dans les fratries, dans l'entourage, là ou l'auteur des faits est passé, on trouve. La preuve : lorsque Flavie Flament a révélé son agression par David Hamilton, beaucoup de femmes ont parlé à leur tour. Et elles n'auraient pas le droit de porter plainte ?"
CONTRE - Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM) : "Porter plainte n'est pas une fin en soi"
"Il faut rappeler qu'il existe déjà une prescription dérogatoire concernant les crimes sexuels sur mineurs. Il en existe même deux. Déjà, le point de départ pris en compte pour établir la prescription n'est pas la date des faits, mais le 18ème anniversaire de la victime. Ensuite, le délai de prescription est de vingt ans. Cela veut dire que quelqu'un qui est victime d'un crime sexuel à l'âge de huit ans peut porter plainte jusqu'à trente ans après les faits.
Il faut comprendre que porter plainte n'est pas une fin en soi. Un dépôt de plainte a pour conséquence l'ouverture d'une enquête et la recherche de preuves. Or, plus les faits sont loin, moins il y a de chances de trouver ces preuves. Aller recueillir des témoignages un ou deux ans après les faits, c'est déjà diminuer les chances de trouver quelque chose. Quarante ans plus tard, c'est presque mission impossible.
Les partisans de l'imprescriptibilité mettent souvent en avant les progrès de la science. Ils sont réels, mais pour qu'ils soient utiles, il faut qu'il y ait eu des prélèvements au moment des faits. Dans le cas d'une personne qui parle des dizaines d'années plus tard, ce n'est évidemment pas le cas : les progrès scientifiques sont inopérants en la matière. Quant aux séquelles, comment prouver qu'elles sont liées à une agression sexuelle, et que l'auteur est la personne que la victime désigne ?
Le risque c'est que beaucoup de femmes soient déçues et aient le sentiment que la justice ne les a pas entendues. Je ne remets pas en cause l'importance de leur traumatisme. Mais le rôle de la justice est d'être sûre lorsqu'elle condamne quelqu'un. Il serait plus utile de se pencher sur l'accompagnement des mineurs, pour les aider au moment des faits, plutôt que de leur faire croire qu'on fera condamner leur agresseur 40 ans après."