Les samedis se suivent et se ressemblent depuis deux mois et demi pour les "gilets jaunes". Alors que la mobilisation, en baisse après les fêtes, a connu un sursaut il y a deux semaines, certains ne cachent pas leur impatience, voire leur lassitude sur les groupes Facebook dédiés. En dix samedis de blocages, barrages et défilés, ils estiment n'avoir pas obtenu gain de cause. "Les samedis se suivent et rien ne change, je me sens perdue", écrit Cath sur le groupe "La France en colère". "Que pouvons-nous faire ? Comment pouvons-nous arriver à être entendus ?" Aujourd'hui, l'heure semble être à la recherche de nouveaux modes de contestation.
Eric Drouet, l'un des leaders des "gilets jaunes", l'a largement sous-entendu dans une lettre ouverte datée de lundi et adressée à Emmanuel Macron. "Beaucoup de 'gilets jaunes' perdent patience et soyez conscient que certains ne resteront pas calmes indéfiniment", écrit-il. "Le jour, la nuit, le week-end, la semaine…nous seront là ! Nous ne craignons plus rien et allons vous surprendre par notre sens de l'effort." La missive s'achève sur une phrase aux allures d'avertissement : "Vous avez encore le pouvoir d'éviter que la situation ne s'aggrave."
Une manifestation en hommages aux blessés des violences policières
Première initiative : faire de l'"acte 12", celui qui aura lieu le 2 février, un moment spécialement dédié aux victimes de violences policières. Sur Facebook, l'événement dédié donne rendez-vous aux "gilets jaunes" à Daumesnil, dans l'est parisien. Pensée "en hommage et par respect aux victimes, pour qu'ils obtiennent justice", cette manifestation vise aussi à demander "l'interdiction définitive du flashball LBD-40 et des grenades GLI-F4 et GMD", les grenades lacrymogènes et de désencerclement.
"Nous invitons tous les blessés qui le peuvent à nous rejoindre ce jour-là", écrivent les organisateurs, qui annoncent déjà la présence de six personnes éborgnées, défigurées ou amputées après des tirs policiers. Tous seront "en début de cortège". Pour les autres, "nous demandons à tous les manifestants de bien vouloir venir en se mettant des pansements sur l'œil, des bandages, en béquilles… de mettre du rouge sur les gilets jaunes en guise de sang".
Les préparatifs ont d'ores et déjà commencé, avec l'organisation de co-voiturages pour venir à Paris et, surtout, des appels à constituer un service d'ordres afin d'éviter les débordements. Pour les "gilets jaunes", ces rendez-vous hebdomadaires continuent d'être importants, notamment par la couverture médiatique qu'ils engendrent. Prévoir une mise en scène destinée à marquer les esprits doit permettre de reprendre la main, alors que la mise en place du "grand débat national" a pu quelque peu éloigner micros et caméras la semaine dernière.
La tentation de la grève générale
Une autre idée commence à émerger sur les différents groupes Facebook des "gilets jaunes" : celle d'une grève générale, plus paralysante que des blocages tous les samedis seulement, et plus à même selon eux de faire céder le gouvernement. Un flyer circule sur le sujet, partagé notamment par Eric Drouet. "Loin des sirènes gouvernementales sur la grande arnaque nationale qui taisent nos revendications, grève générale illimitée à partir du 5 février 2019. Blocage total, ne vivons plus comme des esclaves…", est-il écrit.
Dans un communiqué, les "gilets jaunes" de Rouen déplorent "que le pouvoir exécutif s'obstine à ne rien entendre". "Chacun a compris que le grand débat national ne constitue qu'une nouvelle stratégie de communication visant à anesthésier l'opinion publique sans qu'aucune mesure concrète ne soit adoptée à son issue", dénoncent-ils. "Nous appelons l'ensemble des citoyens français à se mobiliser pour construire la grève générale illimitée." La date proposée est toujours celle du 5 février. Selon eux, il faut "boycotter les grandes enseignes commerciales au profit des commerces de proximité". "C'est un sacrifice à faire aujourd'hui pour notre avenir."
Cette idée rencontre un certain succès dans les groupes de "gilets jaunes", beaucoup plus que d'autres initiatives jugées inefficaces comme les "sit-in" ("Comme 'Nuit debout' ? Ça n'a rien donné", souligne Sophie) ou trop contraignantes comme les retraits massifs d'argent aux distributeurs automatiques, "impossibles quand on ne boucle pas ses fins de mois". Il y a derrière la volonté de marquer les esprits et de provoquer un nouveau sursaut, alors que le gouvernement, qui n'est pas ou peu affecté dans les sondages, mise sur un essoufflement des manifestants et une lassitude de l'opinion.
Une "nuit jaune" pour "mettre un bon coup"
Sur sa propre page Facebook, Eric Drouet a appelé à un autre type d'action assez inédit : une "nuit jaune". Peu d'informations circulent pour le moment, mais cela ressemble à une manifestation nocturne non déclarée, dont le lieu ne sera dévoilé qu'au dernier moment. Dès dimanche, le groupe "La France énervée" avait partagé un visuel assez avare en détails. "Les manifestations en journée c'est bien, on marche. Mais pour la plupart des gens, ce n'est pas comme ça que ça va bouger", a expliqué Eric Drouet dans un live Facebook. "Les gens veulent plus, une grosse mobilisation, partir sur des nocturnes, des 24 heures, des 48 heures, et c'est ce qui se passera."
Le leader des gilets jaunes poursuit : "Les gens veulent mettre un bon coup et que cela continue, qu'enfin on soit écoutés et pas endormis avec des pseudo-grand débat qui servent à rien." Pas question, néanmoins, d'abandonner la manifestation du samedi. Au départ peu organisée, celle-ci s'est peu à peu structurée. Samedi dernier, à Paris, les "gilets jaunes" ont ainsi adopté un fonctionnement plus classique, déclarant un itinéraire et s'y tenant, ce qui a abouti à un défilé plus calme que d'habitude. "On pense que c'est important d'avoir des manifestations déclarées", poursuit Eric Drouet. "Pour les personnes fragiles, qui ont besoin d'être en sécurité. Et puis, ça fait le nombre. Je ne conseille pas à tous de venir la nuit."
Autrement dit, comme l'analyse sur Twitter le journaliste Vincent Glad, deux formes de mobilisations distinctes tendent à se dessiner. "D'un côté, des manifestations déclarées pour faire le nombre auprès des médias, et de l'autre, des manifestations non déclarées, notamment la nuit, où ça peut clairement déraper."
Il y a donc une nouvelle stratégie: d'un côté, des manifs déclarées pour faire le nombre auprès des médias, et de l'autre, des manifs non déclarées, notamment la nuit, où ça peut clairement déraper.
— Vincent Glad (@vincentglad) 21 janvier 2019