"C'est pas un dossier de PD", "Maintenant qu'ils peuvent se marier ils se croient tout permis"... Comme beaucoup de personnes homosexuelles, Paul, 26 ans, juriste dans une multinationale basée à Paris, a pu entendre ces remarques dans les couloirs de son entreprise ou à la machine à café. Dans le monde de l'entreprise les commentaires homophobes, les "tarlouzes" et "PD" lancées à la volée, sont monnaie courante. Selon un guide publié mercredi par le Défenseur des droits à l'occasion de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie, 39% des personnes LGBT assurent souffrir de ces commentaires et attitudes négatives au travail.
"J'évite d'aller boire un verre avec mes collègues". C'est le cas notamment d'Olivier, ingénieur chez Orange et membre du conseil d'administration de Mobilisnoo, le réseau des LGBT du groupe de téléphonie. "C'est blessant d'entendre ce genre de remarques, mais c'est aussi frustrant de devoir sans cesse faire attention à la façon dont on se tient, dont on s'exprime et surtout de devoir éviter d'être finalement soi même", confie-t-il. "Au départ je me suis inventé une double vie. Ou alors j'essayais d'employer des mots neutres. Je racontais que j'avais passé le week-end avec mon "ami", sans spécifier s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Mais cela ouvre la voie à d'autres questions".
Pour les éviter, le salarié a dû alors se marginaliser. "Je mange souvent seul à la cantine, j'évite aussi d'aller boire un verre avec mes collègues après le boulot. Car quand ils me lancent au sujet d'une fille "elle est bonasse", ou qu'ils parlent de leur équipe de foot préférée qui a joué 'comme des tarlouzes', je ne sais pas quoi dire", s'interroge-t-il.
Un frein à la carrière. Outre la gêne, Olivier craint que son homosexualité ne nuise à sa carrière. "Je travaille dans un milieu très technique, très macho. Si j'en parle, il y a le risque que cela soit mal perçu", assure-t-il. Même peur pour Paul. "Si je le disais, je pense que ca changerait leur regard. On ne sait jamais comment vont réagir les collègues, et si cela aura des conséquences sur de possibles évolutions de carrière si je tombe sur un supérieur qui est plutôt homophobe", regrette-t-il.
L'un comme l'autre n'ont toujours pas révélé leur homosexualité à leurs collègues. "Seul mon apprenti le sait. Mais il est très jeune et très ouvert", explique Olivier qui est pourtant très actif sur le réseau des LGBT Orange. "Mais je n'ai pas affiché mon nom de famille sur le site dédié au réseau."
Et même dans les entreprises dans lesquelles cela se passe "plutôt bien", le sujet reste toujours délicat à aborder. "De manière générale, je suis quelqu'un qui ne parle pas de sa vie personnelle au travail mais je l'ai dit aux collègues avec qui je me sentais en confiance", raconte Charline, 30 ans, employée dans le secteur du marketing, en couple pendant sept ans avec une femme. Toutefois, elle se souvient avoir été marquée par la réaction de sa supérieure hiérarchique lorsque cette dernière a appris l'homosexualité d'un collègue en commun. "Elle est arrivée un jour dans mon bureau en me disant : 'j'ai un scoop. Machin c'est un PD, c'est vraiment dégueulasse'. Cela m'a totalement refroidie."
Une source de stress. "Ces remarques homophobes, même si elles ne sont pas formulées de façon malveillantes, peuvent à la fois blesser les personnes qui ont fait leur coming out et bloquer celles qui n'osent pas le faire", explique le psychothérapeute Pierre Cocheteux, membre de l'association PsyGay. "Cela conforte à se créer un masque par peur d'être dévoilés", constate-t-il."Psychologiquement, c'est une source de stress, de souffrance. Cela peut générer un repli sur soi, de la réserve".
Des actions de sensibilisation. Face à ce constat, certaines entreprises ont choisi de s'intéresser à cette question. C'est le cas par exemple d'Air France KLM qui s'est engagée à travers un document de référence à lutter contre les discriminations à l'encontre des salariés LGBT ou encore du groupe Casino qui veille à utiliser des termes ne risquant pas d'exclure des salariés du fait de leur orientation sexuelle, précise le rapport du Défenseur des droits dans son guide publié mercredi. Ainsi, le groupe préfère utiliser le terme "partenaire", plutôt celui de "conjoint" lors d'événements organisés par l'entreprise par exemple.
Mais ces entreprises sont rares : seules 7 % d'entre elles ont formalisé une politique de diversité ciblant explicitement le critère de l'orientation sexuelle, détaille le rapport du Défenseur des droits. Et dans les faits, cela n'est pas suffisant pour faire changer plus généralement les mentalités. "Orange a mis en place des kits pour sensibiliser les salariés à cette question", explique Olivier. "Mais je n'ai pas l'impression que l'information a été relayée auprès des salariés. D'ailleurs, sur un groupe de 100.000 salariés, nous ne sommes que 80 personnes à faire partie du réseau LGBT Mobilisnoo", ajoute-t-il. "Certaines habitudes sont tenaces", constate Pierre Cocheteux, qui suit de nombreux salariés homosexuels victimes de discrimination. "Malgré les efforts faits par les entreprises, les plaisanteries douteuses ont tendance à perdurer."