C'était le 21 avril 1944. Ce jour-là, les femmes devenaient électrices et éligibles grâce à une ordonnance du Gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger. Il faudra ensuite attendre un an, le 29 avril 1945, pour qu'elles déposent pour la première fois leur bulletin dans l'urne pour des élections municipales.
Le 29 avril 1945 représente deux dates symboliques : celle des premières élections depuis la libération de la France et les premières où les femmes peuvent voter. Car il aura fallu plus de 100 ans de lutte pour que le suffrage universel soit accordé aux femmes.
1848, les femmes militent pour obtenir le même droit que les hommes
En 1848, les hommes obtiennent le suffrage universel. Des voix féminines commencent à s’élever pour obtenir le même droit comme Jeanne Deroin, première femme candidate à une élection législative en 1849 "alors qu'elle n'avait ni le droit de vote ni le droit d'être élue mais elle a fait campagne", rapporte Anne-Sarah Bouglé-Moalic, docteure en histoire à l'Université de Caen-Normandie et spécialiste de la question du vote des femmes en France.
"À ce moment-là, on voit des groupes de femmes qui vont vraiment spécifiquement réclamer le droit de voter. Elles vont écrire des articles, elles vont manifester et elles vont se présenter aux élections pour défendre ce vote spécifique", indique-t-elle.
"L'éducation des femmes était faite pour qu'elles ne s'intéressent pas à la politique"
Le mouvement des suffragettes prend alors place quelques années plus tard, avec Hubertine Auclert, journaliste et militante, qui fonde le journal La Citoyenne. Lors de manifestations, elle réclame le droit de vote pour les femmes mais aussi le droit d’être élues. Autre figure importante de cette période, Cécile Brunschvicg, l'une des trois sous-secrétaires d'État dans le premier gouvernement de Léon Blum en 1936, militante et présidente de l'Union française pour le suffrage des femmes.
À six reprises, des propositions pour le droit de vote des femmes sont présentées à l’Assemblée mais à chaque fois, elles seront bloquées par le Sénat. "Ceux qui s'opposaient au droit de vote des femmes avaient comme argument de dire que les femmes ne s'intéressaient pas à la politique, donc qu'elles ne voteraient pas", précise la docteure en histoire ajoutant qu'il ne s'agissait pas d'une question de nature mais d'éducation. "Leur éducation était faite pour qu'elles ne s'y intéressent pas et pour que l'ensemble de la société les éloigne de la politique. Celles qui s'y intéressaient étaient des femmes plus engagées, déjà militantes et pas forcément uniquement des militantes pour le droit de vote des femmes."
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"Le droit de vote n'était pas seulement un droit, c'était considéré comme un devoir"
En 1942, le général de Gaulle, alors qu’il organise la résistance depuis l’Étranger, promet le droit de vote aux femmes quand la France sera à nouveau libre. Le 21 avril 1945, les femmes obtiennent le droit de vote grâce à une ordonnance du Gouvernement provisoire du général de Gaulle à Alger et exercent leur droit huit jours après lors des élections municipales. Mais il reste une inconnue : les femmes vont-elles aller voter ?
"Finalement, il y a un écart d'abstention entre les hommes et les femmes qui existe encore un peu avant 1945 mais qui n'est pas si élevé que ça. Quand on dit aux femmes qu'elles ont le droit d'aller voter et que c'est même un droit important dans la République française, elles s'en emparent et elles vont voter, et elles finissent par trouver un intérêt à la politique", rapporte Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Les chiffres de participation des femmes à ce premier scrutin ne sont pas disponibles mais on sait que près de 26 millions de Français étaient inscrits sur les listes électorales. Quelques mois après ces élections municipales, les femmes exercent de nouveau leur devoir civique le 21 octobre 1945 lors des premières élections législatives de l'après-guerre. "Le droit de vote n'était pas seulement un droit, c'était considéré comme un devoir", affirme-t-elle.
Cette réforme a été "essentielle" pour de nombreuses femmes, explique Anne-Sarah Bouglé-Moalic. "Cette réforme est essentielle puisqu'elle vient poser un des fondements de l'égalité entre les femmes et les hommes en France. Un droit fondamental et c'est bien pour cela qu'elles se battaient depuis au moins une centaine d'années, depuis l'obtention du suffrage universel masculin en 1948", souligne-t-elle.
La France en retard sur ce droit et ce "n'est pas lié à une misogynie"
Si le droit de vote des femmes est accordé en France en 1944, il l'a été dans d'autres pays bien plus tôt : en 1901 en Australie, en 1906 en Finlande, en 1913 pour la Norvège, en 1915 pour le Danemark, en 1918 pour l'Allemagne, en 1920 pour les États-Unis, en 1928 pour le Royaume-Uni. "Un retard qui n'est pas lié à une misogynie ou un conservatisme spécifique à la France" mais qui est le résultat du contexte politique de l'époque.