"Pute", "salope" : aux urgences, les infirmières face aux "insultes du quotidien"

© Photos Margaux Baralon/Europe 1
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Deux infirmières et un infirmier du service d'urgences médicales et psychiatriques de l'hôpital Édouard-Herriot, à Lyon, confient leur gestion au quotidien de la violence et de l'agressivité des patients.
TÉMOIGNAGE

Juliette, Margot et Lionel sont tous les trois employés aux urgences médicales et psychiatriques de l'hôpital Édouard-Herriot, à Lyon. Le jour, la nuit, ils sont confrontés à la violence de certains patients qui atterrissent dans leur service. Des poussées d'agressivité qui résultent de pathologies lourdes ou des problèmes liés aux (longs) délais d'attente. Tous, à leur manière, expliquent à Europe 1 comment ils font face au quotidien.

Juliette Delery, 32 ans, infirmière psychiatrique

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"Le problème, ce n'est pas que les gens viennent pour rien, c'est qu'ils ne l'acceptent pas quand on le leur explique. Là, 't'es une pute', 'une salope', tu ne sais pas faire ton métier. Les insultes au quotidien, c'est ça qui m'agace, cette violence-là. Je ne vois pas comment on peut devenir agressif avec des gens qui font leur boulot.

Il y a quand même beaucoup d'agressivité. C'est compliqué pour tout le monde d'attendre six heures alors que chacun, et les familles aussi, a l'impression qu'il est dans un état plus grave que son voisin. On accueille beaucoup de patients alcoolisés, précaires, qui ne comprennent pas forcément qu'on ne puisse pas accéder à toutes leurs demandes car ce n'est pas notre rôle. Et puis on a aussi des patients psychiatriques qui arrivent avec leurs angoisses. Mais la violence due à la maladie, on l'accepte bien plus facilement, sûrement parce qu'on peut la raccrocher à ça."

Margot Gouillart, 26 ans, infirmière

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"Les patients voient un externe, un interne, un infirmier ou un aide-soignant, ils voient beaucoup de monde avant le médecin. On leur repose mille fois les mêmes questions, ce qui en agace certains. Mais c'est ici, à l'accueil, qu'il y a le plus d'agressivité. Après, cela dépend comment on leur explique et comment on les accueille. Si on explique bien les choses, s'ils savent qu'ils vont attendre, je pense que c'est plus facile pour eux de le faire dans ces conditions que si on les renvoie sans rien leur dire. Normalement, il n'y a pas de famille autorisée dans le couloir où attendent les patients allongés. Mais on se permet de les faire passer cinq minutes de temps en temps. Cela rassure tout le monde. Il y a des petites choses comme ça qui nous permettent de faire retomber la pression.

Les insultes, je ne les prends pas pour moi personnellement, Margot. C'est moi l'infirmière, l'institution qui ne fonctionne pas, donc cela ne m'atteint pas. Et puis si je ne me sens pas bien, je sais qu'on discute beaucoup avec les collègues donc je peux en parler ouvertement. Cela permet de ne jamais rapporter des choses chez soi."

Lionel Vulin-Serain, 45 ans, infirmier psychiatrique

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"J'ai 45 ans, je ne suis pas si vieux mais je commence à tirer la langue. La fatigue fait qu'à un moment, je vais caler. Je vois bien qu'en fin de journée je suis plus irritable, moins disponible. J'ai fait en sorte d'améliorer mon planning pour ne travailler que deux jours de suite, trois maximum, ce qui me permet de ne pas m'épuiser. Je ne peux plus encaisser quatre jours. Après, on a 24 heures de 'mort' derrière, 24 heures pendant lesquelles on est une épave.

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Mais il n'y a pas longtemps, je partais en vélo et je me suis fait interpeller par un cycliste. Je pensais qu'il ne trouvait pas son chemin et en fait, arrivé à ma hauteur, le type me dit : 'mais vous ne me reconnaissez pas ? Vous m'avez attaché et piqué l'année dernière, le 21 juin 2018.' Je ne sais pas du tout comment la personne a perçu les soins mais là je me suis aperçu qu'il me remerciait de ce que j'avais fait pour lui. Il m'a dit qu'il travaillait, qu'il s'en était sorti, qu'il prenait un traitement tous les jours et que cela l'avait aidé à s'insérer. Et il m'a serré la main. Alors qu'au départ, je l'ai attaché et je l'ai piqué. Ce n'est quand même pas banal de prendre soin des gens avec des gestes aussi durs. La contention, c'est une violence. Mais c'est ça que j'aime dans ce métier, se dire qu'on a pu apporter quelque chose à quelqu'un qui aujourd'hui ne va pas trop mal. On croise des gens parfois, qui vous font un signe de tête discret dans le métro. D'un sourire entendu, 'je sais qui tu es, qui tu as été dans ma vie'."