Dès septembre dernier, Emmanuel Macron ne s'en cachait pas. Au moment de présenter les grands axes de son projet de loi "Habitat mobilité et logement", le chef de l'État lâchait, depuis Toulouse : "On me dira que je ne respecte pas l'environnement, ou parfois le handicap, parfois ceci ou cela. Mais il faut du pragmatisme". Sept mois plus tard, ce fameux projet de loi, finalement baptisé Élan (Évolution du logement et aménagement numérique), a été présenté mercredi en Conseil des ministres. Le texte, qui sera débattu au Parlement à partir du mois de juin, prévoit notamment de réduire à 10% le nombre des logements neufs accessibles aux personnes à mobilité réduite, contre 100% aujourd'hui. Si la série de mesures présentées a déjà été saluée par les professionnels du secteur, comme attendu, les associations ont plus de mal à avaler la pilule.
Quelque 2.000 logements neufs accessibles chaque année. Le projet de loi est guidé par un principe simple : donner un coup de fouet à la construction. Pour y parvenir, le gouvernement entend réduire les contraintes et les normes qui font grimper les prix. Y compris, donc, les normes en matière de handicap. Les personnes en situation de handicap et âgées n'auraient ainsi accès "qu'à un peu plus de 2.000 logements neufs chaque année", selon le calcul effectué par une dizaine d'associations, qui ont fait part de leur inquiétude, dans un communiqué publié vendredi. Alors même que quelque 850.000 Français ont une mobilité réduite.
Une mesure "complètement incohérente". "C'est discriminatoire. C'est aussi complètement incohérent avec toute la politique publique à l'égard du handicap et du vieillissement de la population", s'insurge notamment sur Europe 1 Patrice Tripoteau, directeur général adjoint de l'Association française des paralysés de France (APF). "On dit qu'il faut renforcer la vie à domicile, la vie inclusive des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées, mais les personnes en fauteuil roulant sont considérées comme des contraintes", regrette-t-il. "C'est vraiment catastrophique, puisqu'on va revenir à des logiques de quotas de logements".
Des logements "évolutifs"... Au sein de chaque bâtiment à usage d'habitation ou à usage mixte, seuls un dixième des logements devront donc être accessibles aux personnes à mobilité réduite, tandis que les autres devront être "évolutifs", c'est-à-dire adaptables à la perte d'autonomie et au vieillissement. "Cela veut dire que dès leur conception, ils prévoient toutes les dispositions pour être mis en accessibilité avec des travaux simples", a précisé mardi le ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mézard, dans un entretien à LCI.
…Et des travaux à payer. Reste à savoir qui devra payer ces travaux. "Si c'est le locataire, il n'aura pas les moyens ou devra faire appel à la solidarité", s'inquiète Patrice Tripoteau. En 2010, le niveau de vie annuel médian des personnes handicapées âgées de 15 à 64 ans s'élevait en effet à 18.500 euros, soit 2.000 euros de moins que celui des personnes sans handicap, selon les dernières statistiques du ministère de la Santé. "Par ailleurs, on voit bien que toutes les aides financières sont de plus en plus difficiles à obtenir", complète le directeur général adjoint de l'APF. "Et si c'est au propriétaire de payer, qui voudra accepter une personne en situation de handicap ? Nous sommes vraiment dans une voie sans issue...".
Jacques Mézard, lui, préfère minimiser : "Nous prévoyons de faire en sorte que ces travaux soient légers. Il s’agit de transformer une douche ou une baignoire, ou d’enlever une cloison", répond-il à LCI.
Interrogé sur le souhait des associations de voir les immeubles de trois étages et plus, au lieu de quatre étages actuellement, desservis par un ascenseur, le ministre lâche par ailleurs : "Il faut demander à mes prédécesseurs, je ne suis pas responsable de la législation actuelle. (…) Cette question ne m’a été remontée que récemment, et ce n’est pas un sujet législatif".
Une idée loin d'être nouvelle
Décriée, l'idée de ce projet de loi, elle, n'est pourtant pas nouvelle. En février 2016, Nicolas Sarkozy, alors candidat à la primaire de la droite et du centre, proposait déjà de "réserver 10 % des HLM vraiment pour les handicapés plutôt que d'appliquer des normes de cette nature qui ruinent les communes".
Le mois suivant, François Fillon ne disait pas autre chose : "Il est absurde de vouloir, par exemple, que tous les logements de notre pays soient accessibles aux handicapés. C'est une absurdité. Pour satisfaire une demande qui n'est pas une demande réelle, puisqu'il n'y a pas dans chaque logement français un handicapé qui va y habiter, on va priver des Français au logement parce qu'il sera trop cher. Voilà un exemple typique d'une affaire sur laquelle il aurait fallu faire preuve d'un peu de bon sens", martelait alors le candidat LR à la présidentielle.