Moralisation de la vie publique : le projet de Bayrou face à trois défis

François Bayrou a présenté les grandes lignes de son projet de moralisation de la vie publique, jeudi.
François Bayrou a présenté les grandes lignes de son projet de moralisation de la vie publique, jeudi. © AFP
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En pleine affaire Ferrand, le ministre de la Justice a présenté les grandes lignes de son projet de moralisation de la vie publique, jeudi. Il entend notamment modifier la Constitution. 

Le Premier ministre Édouard Philippe avait annoncé "des dispositions assez innovantes" rendant le texte "difficile à écrire" pour qu'il soit "parfaitement conforme", mardi. Deux jours plus tard, son ministre de la Justice, François Bayrou, a présenté jeudi les grandes lignes d'un projet ambitieux, d'abord annoncé comme prêt avant les élections législatives et qui devrait finalement être achevé dans l'entre-deux-tours. Le projet de loi "pour la moralisation de la vie publique" deviendra un ensemble de trois textes, "pour la confiance dans notre vie démocratique". Ces derniers devraient "éviter que les faiblesses humaines ne contaminent le corps social", selon les termes du garde des Sceaux. À quelques conditions.

  • Réussir une réforme constitutionnelle

François Bayrou l'a indiqué dès le début de son propos : le premier grand chantier législatif du quinquennat Macron passera par deux lois, et une révision constitutionnelle. Cette dernière devrait comprendre la suppression de la Cour de justice de la République, la fin de la présence des anciens présidents au Conseil constitutionnel et l'interdiction de cumuler trois madats successifs, au niveau national comme local, sauf dans les petites communes.

Mais la tâche ne s'annonce pas aisée : la Constitution elle-même prévoit que tout projet de révision doit être approuvé par référendum ou être examiné par le Parlement réuni en Congrès et réunir la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. À titre de comparaison, une loi ordinaire est votée si elle obtient la majorité des suffrages exprimés. Le résultat encore inconnu des élections législatives fait donc planer un doute sur la possibilité de cette révision : LREM et ses alliés devront disposer de suffisamment d'élus pour la faire voter.

Pour rappel, en 2008, une loi constitutionnelle limitant à deux le nombre de mandats successifs autorisés pour un président de la République avait ainsi été adoptée par le Congrès.

  • Éviter la censure des autres mesures

Les mesures qui seront présentées dans la loi constitutionnelle ne sont pas les seules qui pourraient faire l'objet d'une censure pour atteinte à la Constitution. L'encadrement des activités de conseil des députés et des sénateurs pourrait par exemple poser problème. "Son interdiction pure et simple pourrait enfreindre la Constitution", estime le politologue Olivier Rouquan, interrogé par Europe1.fr. En 2013, le Conseil constitutionnel avait en effet déjà retoqué un projet de loi organique prévoyant l'interdiction de ces activités pour les parlementaires, jugeant que la portée d'une telle mesure "excédait manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté du choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu, ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d'intérêt".

Soucieux d'éviter que la situation ne se représente, mais jugeant qu'"il est indispensable d'encadrer cette pratique", le ministre de la Justice ne prévoit pas d'interdiction pure et simple des activités de conseil pour les parlementaires. Il entend rendre illégal le fait d'en lancer une en cours de mandat, ou de conseiller certaines sociétés liées à des marchés publics. Reste à savoir si ces mesures passeront le contrôle du Conseil constitutionnel. Il en va de même pour le financement public de la vie politique : l'interdiction des prêts par "des personnes morales autres que des banques européennes" pourrait enfreindre l'article 4 de la Constitution, qui prévoit que les partis politiques "se forment et exercent leur activité librement".

"Sur les aspects techniques et juridiques, le texte est examiné par le secrétariat général du gouvernement", tempère cependant Olivier Rouquan.  "Il passera encore par le Conseil d'Etat avant d'atteindre le Conseil constitutionnel : on n'en est pas encore là et il y a des moyens d'éviter une éventuelle censure."

  • Parvenir à faire oublier l'"affaire" Ferrand

Après quinze minutes de présentation, les premières questions adressées à François Bayrou n'ont pas porté sur son projet, mais sur l'enquête préliminaire visant depuis jeudi matin le ministre de la Cohésion des Territoires, Richard Ferrand. Le garde des Sceaux s'est refusé à tout commentaire sur ce sujet, se contentant de lire un extrait du code pénal. Mais les interrogations pressantes illustrent un timing pour le moins inconfortable pour le gouvernement, nommé il y a moins de trois semaines par Édouard Philippe, et dont il n'est, pour l'instant, pas question que Richard Ferrand démissionne.

Le projet présenté par François Bayrou aurait-il empêché les faits reprochés à Richard Ferrand ? A priori non : la loi "pour la confiance dans notre vie démocratique" entend seulement interdire aux ministres et aux parlementaires de recruter des membres de leur famille. Or, en 2011, ce sont les Mutuelles de Bretagne, dont Richard Ferrand était directeur général, qui ont loué des locaux commerciaux à une société civile immobilière appartenant à la compagne de ce dernier.

"Le problème majeur, c'est la modification de la procédure de nomination des magistrats du parquet", estime Olivier Rouquan. "On le voit bien dans le cas Ferrand : une indépendance renforcée aurait levé tout soupçon (le parquet de Brest a annoncé qu'il n'ouvrirait pas d'enquête préliminaire avant de changer d'avis, ndlr)". Mardi, François Bayrou a annoncé que la révision constitutionnelle prévue à la rentrée comporterait bien des dispositions concernant l'indépendance des procureurs, sans plus de précision.