Influent un jour, influent toujours. Bernard Squarcini, puissant patron du renseignement intérieur sous Nicolas Sarkozy, dont il est toujours très proche, n’a cessé de faire jouer ses réseaux après son évincement de la DCRI en 2012, une fois la gauche revenue aux affaires.
Un système de renseignement parallèle qui vaut aujourd’hui au "Squale", comme il est surnommé, d’être mis en examen pour une longue liste de délits présumés, notamment pour trafic d'influence et détournement de fonds publics. Le Monde, qui a eu accès à l’enquête et aux écoutes judiciaires réalisées en 2013 sur le portable de Bernard Squarcini, publie vendredi plusieurs révélations sur ses activités depuis sa reconversion dans le privé.
- Le camp Sarkozy aurait fait appel à lui pour récupérer "une note" sur l'affaire Cahuzac
2 avril 2013 : le scandale éclate publiquement lorsque Jérôme Cahuzac, le ministre du Budget, avoue avoir détenu un compte bancaire à l’étranger. Deux jours plus tard, le secrétariat de Nicolas Sarkozy joint Bernard Squarcini et lui demande d’appeler Michel Gaudin, directeur de cabinet de l’ancien chef de l’État et ex-directeur général de la police. "On ne peut pas récupérer une note, là ?", demande ce dernier au téléphone, retranscrit Le Monde. Réponse de Bernard Squarcini : "Je vais essayer". "Bon, alors il faut lancer l’opération Victor Hugo", exhorte Michel Gaudin en retour.
Le camp Sarkozy aurait en fait tenté de prouver que François Hollande était au courant de l'existence du compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, avant même l’aveu de l’ancien ministre. Bernard Squarcini active ses réseaux, mène l’enquête, et recontacte le bureau de Nicolas Sarkozy deux semaines plus tard pour lui signaler qu'il a "un petit blanc" concernant l'affaire, autrement dit une note confidentielle. Ce "blanc" en question a depuis été retrouvé dans le coffre loué par Bernard Squarcini à la BNP. Entendu par les policiers en septembre dernier, Michel Gaudin, lui, assure n’en avoir aucun souvenir. Ni de la note, ni de l’échange téléphonique, ni même de la fameuse "opération Victor Hugo".
- "Tu me tues Rachida et Fillon"
Parti dans le privé après son départ de la DCRI, "Squarc" ne quitte jamais vraiment son rôle au sein des milieux politiques. Le 28 mars 2013, les enquêteurs interceptent ainsi une conversation téléphonique avec Nathalie Kosciusko-Morizet, révèle Le Monde. La députée de l’Essonne, qui brigue alors la mairie de Paris, est en pleine constitution de ses listes municipales. "Bon, allez, tu me tues Rachida et Fillon", lance Squarcini, de l’autre côté du fil. "Je vais te dire, le meilleur moyen de la tuer, c’est d’éteindre (…) Et Fillon, c’est pareil, faut pas le tuer publiquement, faut l’éteindre", répond NKM. S’en suit alors un échange moqueur sur l’identité du père de Zohra, la fille de Rachida Dati, "sur laquelle la DCRI époque Squarcini avait discrètement enquêté", selon le journal du soir.
- L’échange de SMS entre Flaesch et Squarcini sur LVMH
Les juges d’instructions soupçonnent également l’homme de 60 ans d'avoir profité de ses relations dans la police et de ses réseaux pour obtenir des privilèges ou des informations confidentielles sur des enquêtes en cours, afin d’en faire profiter les clients de sa société de consultant en sécurité. Le principal d'entre eux ? LVMH, en plein conflit avec Hermès, au printemps 2013. C’est alors l'ancien chef de la police judiciaire parisienne, Christian Flaesch, lui aussi mis en examen pour violation du secret de l'enquête et entrave aux investigations, qui envoie à l’ancien patron du renseignement un SMS contenant la synthèse de la plainte déposée par Hermès contre le groupe de luxe de Bernard Arnault. Squarcini, lui, fait suivre à ses supérieurs.
- Quand Bernard Squarcini fait effacer un fiché "S"
À la DCRI, devenue entre-temps la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), son influence reste intacte, y compris auprès de son successeur, Patrick Calvar, toujours en poste. Ce dernier accède ainsi à sa demande d’intervention en faveur de la femme de Bernard Arnault pour une formalité administrative. Et soutient les requêtes de deux femmes russes souhaitant obtenir des autorisations de séjour. Interrogé par les policiers le 29 septembre, Calvar assume. "C'est un ami", avoue-t-il, tout en s'étonnant de l'ampleur des services rendus à Squarcini par ses propres hommes.
Car il n’est pas le seul à rendre des services au "tombeur" d'Yvan Colonna. Le Monde évoque notamment "un officier qui, à ses heures perdues, traduit en anglais des documents pour M. Squarcini" ou encore "un major qui interroge tous les fichiers confidentiels possibles pour identifier les profils de dizaines de noms donnés par M. Squarcini". Autre faveur, et pas des moindres : supprimer du fameux fichier "S" un milliardaire russe. Requête évidemment acceptée.