Dans la grande salle des assises de Bobigny, Georges Tron et Brigitte Gruel ne se regardent pas. Sans les témoignages des habitants de Draveil, la commune de l'Essonne où se sont connus le maire et son ancienne adjointe à la Culture, impossible de savoir à quel point ils ont été proches. "Vous étiez toujours ensemble à la mairie, tout le monde le dit", pose pourtant le président. A la barre, Brigitte Gruel, 61 ans, tee-shirt pastel et gilet gris foncé, hoche la tête. Après trois semaines de débats, la cour va entendre les deux accusés sur le fond du dossier pour la première fois.
"Ces scènes n'ont jamais existé". Brigitte Gruel est la première à passer et donne le ton de leur version des faits commune. "Je le conteste", répond-elle d'une voix fluette à chacun des faits énumérés par le président. Les viols en réunion et les agressions sexuelles, dont une aurait eu lieu dans son propre salon ? "Ces scènes n'ont jamais existé", affirme-t-elle. Sur le banc des parties civiles, les plaignantes fixent l'ex-adjointe. A l'exacte même place quelques jours plus tôt, elles racontaient des séances de réflexologie plantaire, puis des caresses et des pénétrations digitales perpétrées par Georges Tron, avec la complicité de Brigitte Gruel. "C'est faux, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise", souffle cette dernière.
Pourquoi inventer de telles accusations ? "Il y a un complot", avance l'accusée. "Elles se parlent, elles se racontent des choses. Je pense qu'il y a une machination derrière ça, avec des femmes qui en veulent à Monsieur Tron principalement, et éventuellement à moi." Brigitte Gruel fait des phrases courtes. Rappelle que Virginie Ettel, l'une des plaignantes, n'avait pas vu son contrat renouvelé. Qu'Eva Loubrieu, la deuxième, s'était rendue coupable d'un détournement de fonds de la régie qu'elle gérait. Et sous-entend, dans chacune des réponses, que les plaignantes ont voulu se venger.
"Vous êtes dans le même bateau". Sur les "faits", l'interrogatoire pourrait presque s'arrêter là. Dans une ultime tentative, le président rappelle son enjeu : "Une chose est sûre : dans cette affaire, vous êtes dans le même bateau que Georges Tron. (...) Si vous savez quelque chose, il faut nous l'indiquer. C'est pour ça que j'ai voulu commencer par vous." Mais Brigitte Gruel ne vacille pas. "Tout ce qu'elles déclarent est faux, je n'ai jamais participé à ces scènes. Et je ne sais rien sur le comportement sexuel de Monsieur Tron… A part la réflexologie, que je l'ai vu pratiquer à plusieurs reprises."
Sur ce sujet sensible, l'ancienne adjointe est plus loquace, décrivant l'édile comme "passionné". "Il lui arrivait de montrer des points sur mon pied pour expliquer la réflexologie à d'autres personnes, ça ne me dérangeait pas." "Très proches", "très amis", "complices", les deux accusés n'ont jamais entretenu de relation intime, assure Brigitte Gruel. "On allait ensemble dans les diverses villes de la communauté, j'étais trésorière de l'association des amis de Georges Tron. Toutes ces activités faisaient que l'on était beaucoup ensemble. (...) C'était mon patron à la mairie, voilà. Il venait fréquemment dîner chez moi, avec des amis et mon mari. Mais je ne l'ai jamais embrassé amoureusement."
"Beaucoup de dames étaient amoureuses de lui". Alors, le président change d'approche : "Pouvez-vous comprendre qu'Eva Loubrieu ait espéré entretenir une relation avec lui ?". Brigitte Gruel réfléchit. "Peut-être. Il est charmeur, il est très attentionné. Quand il parle à quelqu'un, la personne a l'impression qu'elle est seule au monde. Il y a des femmes qui ont pu imaginer des choses…" Le président insiste, cite les SMS crus de la plaignante à Georges Tron, qui évoquent le désir de rapports "charnels". "Vu de l'extérieur, ça paraît surprenant", bafouille l'accusée. "Mais dans le contexte, beaucoup de dames étaient amoureuses de lui. J'ai vu tellement de dames courir après Monsieur Tron…"
Semblant parfois peiner à croire que Brigitte Gruel n'ait jamais été de ces "dames", la cour évoque aussi l'épisode de la "sacoche verte" : en 2009, avant que les plaintes ne soient déposées, l'ancienne adjointe a été chargée de synthétiser un dossier "à charge", fait d'attestations d'employés de la mairie en défaveur de Virginie Ettel. "Pourquoi faire ce travail, dans un laps de temps extrêmement bref, si vous n'aviez rien à vous reprocher ?", demande le président. A la barre, l'accusée secoue la tête : "souvent, il nous donnait des choses à faire, des missions. Il était ministre. Je ne me suis pas posé de questions."