C’est un article qui ne passe pas. Des milliers de Français sont descendus dans la rue dans plusieurs villes françaises samedi après l'adoption, la veille, de l'article 24 du projet de loi sur la "sécurité globale". Cet article prévoit des sanctions pénales en cas de diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre. Décrié, même avec une modification, ce texte est-il une atteinte à la liberté d'informer ? Invités d'Europe Soir week-end pour en débattre, le commandant de police et secrétaire général du syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) Christophe Rouget, et le président de Reporters sans Frontières (RSF), Christophe Deloire, ne voient pas du même œil cet article qui fait polémique.
Protéger les policiers
S'il reconnaît volontiers que dans un état de droit la police peut être filmée, Christophe Rouget s'érige en défenseur de l'article 24. Au-delà d'une "liberté totale de la presse", le commandant de police pointe la nécessité de protéger les forces de l'ordre. "Des femmes et des hommes qui font parfois l'objet de menaces sur les réseaux sociaux, d'agressions et qui sont parfois obligés de déménager." D'après le secrétaire général de SCSI, "rien dans cet article n'interdit de filmer les policiers, de transmettre les vidéos à la justice ou de les diffuser".
En revanche, répétant la nouvelle mouture de l'article du projet de loi, il rappelle que toutes ces droits n'entrent plus en ligne de compte lorsqu'il y a une "intention manifeste de nuire à l'intégrité physique ou psychique d'un policier". Une volonté que devra déterminer un juge, rappelle-t-il. "Je ne crois pas à la justice des réseaux sociaux qui jette parfois en pâture des policiers au public avec des vidéos tronquées."
Un article 24 inutile ?
Une analyse que ne partage pas Christophe Deloire, le président de Reporters sans Frontières (RSF). Déplorant les violences contre les policiers "au même titre que les violences policières", le journaliste questionne l'utilité même de l'article 24. "Pourquoi ajouter une infraction dans la loi de 1881 [sur la liberté de la presse, ndlr] alors que des réponses juridiques existent déjà en cas de menaces ou d'insultes ?"
D'après le président de RSF, ce n'est pas devant les tribunaux que ce texte pose réellement problème, mais bel et bien sur le terrain. Car, selon lui, l'article 24 va "favoriser des mesures prises pour empêcher les journalistes de filmer", affirme-t-il en évoquant le cas d'un journaliste de France 3 qui a passé 12 heures en garde à vue lors d'une précédente manifestation contre l'article 24. "Ce qu'ont compris certains policiers sur le terrain, c'est que cette loi était la possibilité pour eux d'empêcher les gens et les journalistes de filmer." Un problème qui est loin d'être nouveau, puisque Christophe Deloire rappelle que des comportements visant le même objectif ont déjà été observés.
Une réunion à venir avec Gérald Darmanin
De son côté, Christophe Rouget rétorque que beaucoup "d'interprétations" ont été faite sur l'article 24 et lance un appel "à revenir au texte". "Rien n'est interdit concernant le fait de filmer les policiers", martèle-t-il. "Il n'est pas question de porter atteinte à la liberté de la presse, les journalistes peuvent couvrir les manifestations", insiste-t-il en rappelant qu'il est personnellement "républicain".
Des arguments qui ne semblent pas convaincre Christophe Deloire, qui doit rencontrer lundi le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avec "des syndicats de journalistes pour demander le retrait pur et simple" de l'article 24.