Incarcéré pour des accusations de viol qu'il nie catégoriquement, l'intellectuel musulman Tariq Ramadan est convoqué mardi pour son premier véritable interrogatoire devant les juges d'instruction, qui pourraient le mettre en examen pour des agressions sur une troisième femme.
Mis en examen pour viol sur personne vulnérable. A l'issue de sa garde à vue, Tariq Ramadan avait été mis en examen le 2 février pour deux viols, dont un sur personne vulnérable, et écroué. L'enquête, démarrée en octobre, reposait initialement sur les accusations d'anciennes admiratrices du prédicateur - la militante laïque et ancienne salafiste Henda Ayari et une femme connue sous le pseudonyme de "Christelle" - qui ont décrit des rapports sexuels forcés d'une grande violence.
Enquête préliminaire. Avant d'être confiée aux juges, l'enquête préliminaire avait aussi recueilli les récits de trois autres femmes, qui affirment avoir eu des relations intimes avec Tariq Ramadan, sous son "emprise" et parfois aussi très brutales. En mars, une troisième plaignante s'est fait connaître : cette ancienne escort-girl, protagoniste du procès pour proxénétisme du Carlton aux côtés de Dominique Strauss-Kahn, affirme avoir été violée à neuf reprises en France, à Londres et à Bruxelles, de 2013 à 2014.
Mise en examen requise par le parquet. "Tariq Ramadan connaît Mounia Rabbouj et, s'il a eu une relation avec elle, elle n'est pas celle qu'elle a décrite", a affirmé Me Emmanuel Marsigny, dont le client doit être interrogé à ce sujet pour la première fois mardi. La défense espère convaincre les juges de renoncer à la mise en examen, requise par le parquet. Le résultat de l'expertise ordonnée sur une robe de Mounia Rabbouj tachée de sperme pour en déterminer l'ADN est attendu prochainement. Si le prédicateur devait reconnaître mardi une relation adultère, éloignée des enseignements qui ont fait sa célébrité, ce serait un nouveau coup porté à l'aura de celui qui fut une rare figure médiatique et populaire de l'islam en Europe. En Suisse, une quatrième femme a porté plainte et son témoignage doit encore être versé au dossier français.
Tariq Ramadan nie tout rapport sexuel. Interrogé en garde à vue sur les deux premières plaignantes, avec qui il a longtemps échangé sur internet et par téléphone, Tariq Ramadan a reconnu les avoir rencontrées en public, une seule fois chacune, mais a nié tout rapport sexuel. Dans sa plainte, Henda Ayari avait situé les faits à Paris fin mars ou début avril 2012, mais a récemment affirmé devant les juges que le viol a en réalité eu lieu le 26 mai dans un hôtel place de la République. Selon la défense de Tariq Ramadan, Henda Ayari a précisé qu'il pleuvait fort à cette date. "Impossible ! Météo-France indique qu'il n'y pas eu une goutte d'eau ce jour-là", assure Me Marsigny.
Version contre version. Concernant "Christelle", Tariq Ramadan a déclaré l'avoir vue 20-30 minutes dans le hall de son hôtel à Lyon le 10 octobre 2009, alors qu'elle dénonce des faits commis la veille. Elle affirme que l'intellectuel est parti donner une conférence après l'avoir violée, la laissant "prostrée" et emportant ses habits. Elle avait pris la fuite le lendemain matin. Contestant cette version, la défense a versé au dossier une photo de cette conférence où elle croit reconnaître la jeune femme au 4ème rang. "Absurde", répond l'avocat de Christelle, Me Eric Morain. "Ma cliente (...) n'a pas la même couleur de peau que la personne désignée, qui n'a pas non plus de voile alors que ma cliente le portait à l'époque à la demande de Tariq Ramadan."
Sclérose en plaques. Le placement en détention du petit-fils du fondateur des Frères musulmans a suscité une vive émotion chez ses partisans. D'autant qu'il souffre d'une sclérose en plaques, qui a justifié en mars son transfert à l'hôpital pénitentiaire de Fresnes. S'appuyant sur une expertise médicale, qui a jugé que son traitement pouvait être suivi en prison, la cour d'appel de Paris a rejeté le mois dernier sa première demande de mise en liberté.
Empêcher la fuite à l'étranger. Parmi les motifs : empêcher la fuite à l'étranger de l'intellectuel suisse et des pressions sur ses accusatrices. Estimant que "les accusations s'effondrent", Me Marsigny assure que cette détention n'a "aucun intérêt pour les investigations" et que Tariq Ramadan - qui est prêt à payer une caution de 150.000 euros et à remettre son passeport suisse - "a de solides garanties de représentation".